Retour d’une nouvelle expédition scientifique en terre inexplorée de l’Antarctique

Parhélie au-dessus des tentes de couchage sur le site d’ABN
© Tony Fleming (AAD)
© Tony Fleming (AAD)

Une expédition scientifique de grande ampleur accompagnée d’une série de carottages vient de se terminer dans le cadre du projet Aurora Basin North (ABN) en Antarctique. Le raid conduit entre la base française Dumont d’Urville et le point GC40 du bassin Aurora (Figure 1) constituait une des grandes missions exploratoire, scientifique et logistique de la campagne 2013-14 en Antarctique. Il a permis la mise en place d’une importante campagne de forage au point GC40 impliquant notamment le C2FN[1] français. La visite de cette région inexplorée de l’Antarctique par moyens terrestres résulte d’une étroite collaboration entre l’IPEV, son homologue australien l’AAD et les scientifiques du LGGE.

Le bassin du glacier Aurora en Antarctique constitue une immense zone (grande comme deux fois la France) largement inexplorée du continent Antarctique. Depuis plusieurs années, les glaciologues australiens tentent de mettre sur pied une opération de forage dans la calotte de glace antarctique, au coeur de ce bassin Aurora en visant le site dénommé GC40. Ce site est situé à environ mi-chemin entre la base australienne côtière Casey et la base franco-italienne Concordia, soit à 550 km de la côte. Une telle opération de forage dans un secteur non documenté de l’Antarctique s’inscrit dans le cadre de l’action "2000-year network" du programme international IPICS[2], qui s’intéresse à la variabilité climatique et aux réponses régionales aux échelles de temps sub-annuelles à inter-annuelles dans les régions polaires.

L’opération finalement conduite avec succès cette année a vu le jour grâce au soutien logistique depuis la station côtière Dumont d’Urville mis en place par l’IPEV, avec la mise en oeuvre d’un raid scientifique terrestre (avec tracteurs, traîneaux de matériels et caravanes) pour rejoindre le site de GC40. Ce raid a permis l’acheminement du matériel lourd de l’expédition et surtout de réaliser une piste d’atterrissage sur neige indispensable pour que l’équipe de forage rejoigne le site. En effet, la présence de reliefs importants en surface ne permettait pas à un avion équipé de skis de se poser sur une surface non préparée. L’équipe de forage a ainsi pu relier ultérieurement le site de GC40 (dénommé pour l’occasion ABN) depuis la base australienne Casey située sur la côte, à l’aide de moyens aéroportés.

Ce raid a permis pour la première fois de visiter une zone inexplorée de l’Antarctique sur plus de 800 km et a fourni des informations originales dans un secteur non documenté, concernant la variabilité spatio-temporelle de l’accumulation neigeuse (qui conditionne en partie la taille de la calotte de glace antarctique et donc le niveau des mers) et certains traceurs géochimiques (projet IPEV CHICTABA). De nombreux carottages de 10 à 20 mètres de profondeur, des prélèvements de surface et plus en profondeur (puits de neige de 1 à 2 mètres) et un enregistrement radar de surface sur l’ensemble du chemin suivi ont ainsi été réalisés, offrant une information distribuée et continue de l’accumulation de neige et de sa variabilité.

L’équipe franco-australienne du raid, parvenue sur le site de forage ABN
© Tas van Ommen (AAD)
© Tas van Ommen (AAD)
Le raid scientifique progressant au cœur du bassin Aurora
© Tas van Ommen (AAD)
© Tas van Ommen (AAD)
Installation de forage et de prélèvement d’air dans le névé, sur le site d’ABN
© Tony Fleming (AAD)
© Tony Fleming (AAD)

Sur le site d’ABN, trois carottiers ont été déployés, pilotés respectivement par les Australiens, les Danois et les Français (carottier réalisé par l’INSU/C2FN). Par ailleurs, un spectromètre laser de type SARA, construit par le LIPhy à Grenoble, a été utilisé avec succès pour mesurer sur le terrain en temps réel certains gaz-traces contenus dans l’air prélevé le long du névé jusqu’à 105 mètres de profondeur. Les trois forages terminés le 12 janvier ont atteint entre 103 et 303 mètres de profondeur, ce qui donne accès à un enregistrement climatique très détaillé pouvant atteindre 2000 ans.

Les carottes de glace seront prochainement rapatriées en Australie, en France, au Danemark et aux USA, où de nombreuses analyses physicochimiques seront alors conduites : structure physique de la glace (tomographie, taille et fabrique des grains, porosité), isotopes de l’eau, aérosols solubles et insolubles, gaz-traces, radioactivité, béryllium-10...

La réussite du raid et des opérations de carottage a été rendue possible grâce à l’expérience et aux moyens logistiques acquis dans le cadre des projets ANR VANISH et EXPLORE, qui avaient permis de relier pour la première fois les bases de Concordia et de Vostok durant l’été austral 2011/2012. Ce raid démontre encore s’il en était besoin l’intérêt d’un tel partenariat entre science et logistique polaire sur l’équipement de raid. D’ailleurs les glaciologues australiens ne s’y sont pas trompés et affichent désormais comme priorité la constitution d’un raid scientifique australien pour leurs prochaines opérations.

Itinéraire du raid

Ce sont 834 kilomètres sur un terrain vierge qui ont été parcourus, sur un total de 2700 km aller-retour. Des carottages, des puits de neige et la collecte d’échantillons de neige de surface ont été effectués lors des arrêts journaliers de la caravane permettant ainsi d’optimiser ce voyage en terre inconnue. Au-delà du défi scientifique se rajoute donc un défi logistique et humain pendant 37 jours.

Parti de Cap Prud’homme le 25 novembre 2013, le convoi est parvenu à GC40 le 9 décembre 2013. Le retour a suivi la même route avec une arrivée à Dumont d’Urville le 31 décembre 2013. Le raid a nécessité la mise en place d’une logistique lourde : cinq véhicules de l’IPEV (4 tracteurs, 1 dameuse), quatre citernes de carburant (le raid se déplace en autonomie totale), deux caravanes de logement (réfectoire, cabines, énergie électrique), une unité-laboratoire pour les expériences et l’équipement scientifique acquis lors de l’ANR VANISH, et enfin 4 équivalents conteneurs maritimes 20pieds pour l’installation du site. Les échantillons de neige (carottes ou autres) seront ramenés en France et en Australie pour analyse.

Carte de l’Antarctique de l’est, avec l’emplacement des principales bases scientifiques en rouge
Le trait pointillé représente grossièrement le parcours suivi par le raid scientifique mis en place par l’IPEV. L’équipe de forage au site de GC40 a rejoint le site par avion depuis la base australienne Casey, une fois la piste d’atterrissage préparée par l’équipe de raid sur place. © Australian Antarctic Division
© Australian Antarctic Division
Détail du cheminement aller du raid scientifique de l’IPEV, entre la station française Dumont d’Urville et le site de forage ABN (GC40
Les points jaunes indiquent les arrêts journaliers. Insert : distance (en km) parcourue par le raid d’une journée à l’autre. © Tas van Ommen (AAD)
© Tas van Ommen (AAD)
Exemple d’un radargramme acquis durant la progression du raid scientifique
Les lignes claires et sombres correspondent à des couches de neige aux propriétés physiques et chimiques différentes les unes des autres. Chaque ligne représente en première approximation une couche de neige accumulée durant un laps de temps donné. Les ondulations de ces lignes reflètent des changements du taux d’accumulation de neige. Ces données, combinées aux analyses géochimiques sur les forages conduits le long de ces lignes, constituent l’information essentielle pour déterminer la variabilité spatio-temporelle de l’accumulation, et donc le bilan de masse de surface de la calotte de glace antarctique (qui impacte le niveau des mers). © Emmanuel Lemeur, LGGE/UJF/IPEV.
© Emmanuel Lemeur, LGGE/UJF/IPEV.

Equipe sur le terrain

L’équipe du raid a été acheminée par voie aérienne de Christchurch à Cap Prud’Homme / Dumont d’Urville via la station italienne Mario Zucchelli. Cette équipe est composée de chercheurs et de techniciens qui ont tous une grande expérience et des expertises complémentaires.

  • Emmanuel Le Meur, maître de conférences UJF au LGGE (mesures radar, carottages),
  • Olivier Magand, ingénieur d’études CNRS au LGGE (carottages, prélèvement de neige, responsable scientifique du projet IPEV CHICTABA pour la partie raid),
  • Pour la logistique : trois personnels de l’IPEV : Anthony Vende (responsable logistique du convoi), David Colin et Alexandre Leluc (mécaniciens engins) auxquels s’est ajouté un médecin, Jean-Jacques Farcy.

Pour la phase aller, l’équipe était complétée de trois collègues Australiens de l’AAD (science : Tas Van Ommen ; logistique : Sharon Labudda et Noel Paten), restés ensuite sur place pour participer aux opérations de forage profond à ABN durant le reste de la saison.

L’équipe de forage à ABN a été acheminée par voie aérienne via la base de Casey.
Cette équipe était constituée côté français de :

  • Jérôme Chappellaz, directeur de recherche CNRS au LGGE (carottage et prélèvements d’air dans le névé, responsable scientifique du projet IPEV CHICTABA pour la partie concernant les forages à ABN),
  • Olivier Alemany, ingénieur de recherche CNRS au LGGE (responsable de la branche glaciologie du C2FN, conduite du carottage français).
    Outre les deux Français, l’équipe d’ABN comprenait au total entre 9 et 19 membres en fonction des différentes phases de la mission, dont trois Danois et un Américain. L’essentiel de l’équipe provenait d’Australie, sous la responsabilité du chercheur Mark Curran.
Contacts scientifiques locaux
 Jérôme Chappellaz, LGGE-OSUG : chappellaz |at| lgge.obs.ujf-grenoble.fr
 Olivier Magand, LGGE-OSUG : magand |at| lgge.obs.ujf-grenoble.fr






Pour en savoir plus

 Brève Campagne de forage Aurora Basin North (30 oct. 2013)
 Site australien du projet
 Blog tenu par Tas van Ommen durant l’expédition


1 Centre de carottage et de forage national, mis en place par le CNRS-INSU (Institut national des sciences de l’univers) : site du C2FN

2 International partnerships in ice core sciences, un projet soutenu par les programmes IGBP/PAGES (Past global changes) et SCAR (Scientific committee on Antarctic research)

Mis à jour le 30 janvier 2014