Premiers résultats scientifiques de Philae : Tchouri se révèle… différente

communiqué diffusé nationalement par le CNRS le 30 juillet 2015 et localement par l’UJF le 27 août 2015

Ces résultats in situ, très riches en informations inédites, mettent en évidence quelques différences par rapport aux observations antérieures de comètes et aux modèles en vigueur.

Des molécules organiques inédites sur une comète, une structure assez variée en surface mais plutôt homogène en profondeur, des composés organiques formant des amas et non dispersés dans la glace… ce sont quelques-uns des résultats issus des premières données de Philae à la surface de la comète « Tchouri ». Réalisés dans le cadre de la mission Rosetta de l’ESA, ces travaux ont mobilisé des chercheurs du CNRS, d’Aix-Marseille Université, de l’Université Joseph Fourier, de l’Université Nice Sophia Antipolis, de l’UPEC, de l’UPMC, de l’Université Paris-Sud, de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier et de l’UVSQ, avec le soutien du CNES. Ils sont publiés au sein d’un ensemble de huit articles, le 31 juillet 2015, dans la revue Science.

Noyau de la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko
Il mesure 5 km de diamètre.
© ESA

 

La mission de rendez-vous cométaire Rosetta a offert, grâce à l’atterrissage du module Philae, une opportunité exceptionnelle : celle de l’étude in situ d’un noyau cométaire (de sa surface à sa structure interne), 67P/Tchourioumov-Guérassimenko (alias Tchouri). Elle est susceptible de faire progresser la compréhension de ces petits corps célestes témoins des origines du système solaire. Les mesures réalisées du 12 au 14 novembre 2014 (pendant les 63 heures qui ont suivi sa séparation d’avec Rosetta) par les dix instruments de l’atterrisseur Philae ont complété les observations effectuées par l’orbiteur Rosetta [1]. Et son arrivée mouvementée sur la comète a même été source d’informations supplémentaires.

 

 

Des molécules organiques inédites

L’instrument COSAC sur l’atterrisseur cométaire Philae
COSAC est un chromatographe en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse pour identifier les molécules organiques du noyau cométaire. Au centre de l’image sont représentés les deux réservoirs du gaz vecteur (hélium), le chromatographe en bas et le spectromètre de masse sur la droite.
© équipe COSAC / MPS

Vingt-cinq minutes après le contact initial de Philae avec le noyau de la comète, COSAC (Cometary sampling and composition experiment) a réalisé une première analyse chimique, en mode « renifleur », c’est-à-dire en examinant les particules entrées passivement dans l’appareil. Ces particules proviennent vraisemblablement du nuage de poussière produit par le premier contact de Philae avec le sol. Seize composés ont pu être identifiés, répartis en six classes de molécules organiques (alcools, carbonyles, amines, nitriles, amides et isocyanates). Parmi eux, quatre sont détectés pour la première fois sur une comète (l’isocyanate de méthyle, l’acétone, le propionaldéhyde et l’acétamide).

Ces molécules sont des précurseurs de molécules importantes pour la vie (sucres, acides aminés, bases de l’ADN…). Mais la présence éventuelle de ces composés plus complexes n’a pas pu être identifiée sans ambigüité dans cette première analyse. Par ailleurs, quasiment toutes les molécules détectées sont des précurseurs potentiels, produits, assemblages, ou sous-produits les uns des autres, ce qui donne un aperçu des processus chimiques à l’œuvre dans un noyau cométaire et même dans le nuage protosolaire en effondrement, aux premiers temps du système solaire.

Des amas de matière organique dès l’origine

Les caméras de l’expérience CIVA (Comet infrared and visible analyser) ont révélé que les terrains proches du site d’atterrissage final de Philae sont dominés par des agglomérats sombres qui sont vraisemblablement de gros grains de molécules organiques. Les matériaux des comètes ayant été très peu modifiés depuis leurs origines, cela signifie qu’aux premiers temps du système solaire, les composés organiques étaient déjà agglomérés sous forme de grains, et pas uniquement sous forme de petites molécules piégées dans la glace comme on le pensait jusqu’à présent. Ce sont de tels grains qui, introduits dans des océans planétaires, auraient pu y favoriser l’émergence du vivant.

Des terrains variés cachant un intérieur plutôt homogène

Agilkia, premier site de contact de l’atterrisseur Philae avec le sol cométaire
© ESA

COSAC a identifié un grand nombre de composés azotés, mais aucun composé soufré, contrairement à ce qu’avait observé l’instrument ROSINA, à bord de Rosetta. Cela pourrait indiquer que la composition chimique diffère selon l’endroit échantillonné.

Par ailleurs, les propriétés mécaniques des terrains ont pu être déduites de l’« accométage » à rebondissements de Philae. L’atterrisseur a d’abord touché la surface à un endroit baptisé Agilkia, et a ensuite rebondi plusieurs fois avant d’atteindre le site nommé Abydos. La trajectoire de Philae et les données enregistrées par ses instruments montrent qu’Agilkia est composé de matériaux granuleux sur une vingtaine de centimètres, tandis qu’Abydos a une surface dure.

Au contraire, l’intérieur de la comète parait plus homogène que prévu par les modèles. L’expérience radar CONSERT (Comet nucleus sounding experiment by radio transmission) donne, pour la première fois, accès à la structure interne d’un noyau cométaire. Le temps de propagation et l’amplitude des signaux ayant traversé la partie supérieure de la « tête » (le plus petit des deux lobes de Tchouri) montrent que cette portion du noyau est globalement homogène, à l’échelle de dizaines de mètres. Ces données confirment aussi que la porosité est forte (75 à 85%), et indiquent que les propriétés électriques des poussières sont analogues à celles de chondrites carbonées.

Une surface tourmentée

Les laboratoires français impliqués dans ces études sont :
 l’Institut d’astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris Sud)
 l’Institut de chimie de Nice (CNRS/Université Nice Sophia Antipolis)
 l’Institut Fresnel Marseille (CNRS/Aix-Marseille Université/Ecole Centrale Marseille)
 l’Institut méditerranéen d’océanographie (CNRS/Université de Toulon/IRD/Aix-Marseille Université)
 l’Institut de planétologie et astrophysique de Grenoble (CNRS/UJF)
 l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier)
 le Laboratoire d’astrophysique de Marseille (CNRS/Aix-Marseille Université)
 le Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (CNRS/UPMC/UVSQ)
 le Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques (CNRS/UPEC/Université Paris Diderot)
 le Laboratoire de planétologie et géodynamique de Nantes (CNRS/Université de Nantes/Université d’Angers)

L’expérience CIVA-P (P pour panorama), composée de sept microcaméras, a pris une image panoramique (360°) du site d’atterrissage final de Philae. Elle révèle que les fractures déjà repérées aux grandes échelles par Rosetta se retrouvent aussi jusqu’à l’échelle millimétrique. Ces fractures sont formées par choc thermique, en raison des grands écarts de température que connait la comète lors de sa course autour du soleil.

Des précisions sur la localisation et l’orientation de Philae

Cette image panoramique où apparait par endroits un pied ou une antenne, a aussi révélé la position de Philae. Il repose dans un trou de sa propre taille, couché sur le côté (avec seulement deux pieds sur trois au contact du sol), et entouré de parois qui compliquent son alimentation en énergie solaire et ses communications avec Rosetta.

L’instrument CONSERT a quant à lui déterminé, avec trois périodes d’observations en visibilité directe entre la sonde Rosetta et Philae, la zone (150 mètres par 15 mètres) où se trouve Philae. Cela a facilité la reconstitution de la trajectoire de Philae entre le premier site de contact, Agilkia, et le site d’atterrissage final, Abydos. Puis, en utilisant les signaux qui ont traversé l’intérieur de la comète, CONSERT a réduit l’incertitude sur la localisation de Philae (au bord de la région dénommée Hatmehit) à une bande de 21 mètres par 34 mètres.

Avec les quatre autres articles publiés (portant par exemple sur les propriétés magnétiques et thermiques de Tchouri), ces premières mesures à la surface d’une comète renouvellent l’image que l’on avait de ces petits corps du système solaire.

 

Contact scientifique local
 Wlodek Kofman, IPAG-OSUG, responsable de l’expérience CONSERT : 04 76 51 41 47 l wlodek.kofman |a| obs.ujf-grenoble.fr

 

Cette actualité est également relayée par
 le Centre National de la Recherche Scientifique - CNRS (source)
 l’Istitut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU
 l’Université Joseph Fourier - UJF

Sources :
 67P/Churyumov-Gerasimenko surface properties, as derived from the first CIVA-P in situ panoramic images, J-P. Bibring et al., Science, 31 juillet 2015. DOI : 10.1126/science.aab0671
 Properties of the 67P/Churyumov-Gerasimenko interior revealed by CONSERT radar, W. Kofman et al., Science, 31 juillet 2015. DOI : 10.1126/science.aab0639
 Organic compounds on comet 67P/Churyumov-Gerasimenko revealed by COSAC mass spectrometry, F. Goesmann et al., Science, 31 juillet 2015. DOI : 10.1126/science.aab0689
 The landing(s) of Philae and inferences about comet surface mechanical properties, J. Biele et al., Science, 31 juillet 2015. DOI : 10.1126/science.aaa9816

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[1Voir le communiqué de presse du 10 décembre 2014, « Rosetta : les premiers résultats de l’instrument ROSINA »
et celui du 21 janvier 2015, « Tchouri sous l’œil de Rosetta ».

Mis à jour le 14 septembre 2015