Les premières images depuis la Terre d’aurores polaires sur Uranus

Communiqué publié le 18 avril 2012

On ne les avait plus jamais réobservées depuis leur découverte, en janvier 1986, par la sonde américaine Voyager 2 : les aurores polaires d’Uranus viennent d’être photographiées - pour la première fois - depuis la Terre par le télescope NASA/ESA Hubble. La performance apporte de nouvelles informations sur l’environnement magnétique atypique et mal connu de la lointaine planète. Les résultats obtenus par une équipe internationale, dont fait partie un chercheur de l’IPAG, sont parus le 14 avril 2012 dans Geophysical Research Letters.

L’environnement magnétique d’Uranus, septième et avant-dernière planète du Système solaire, qui évolue à 3 milliards de kilomètres du Soleil, est encore plus complexe et fantasque que prévu. En témoignent : les aurores polaires photographiées - pour la première fois - depuis la Terre et en ultraviolet, les 16 et 29 novembre dernier, par le télescope spatial Hubble. Elles dessinent des points brillants qui s’allument et s’éteignent en quelques minutes sur la face visible (côté jour, éclairé par le Soleil) de la planète. Un quart de siècle plus tôt, lors de son survol d’Uranus, la sonde Voyager 2 avait détecté des aurores permanentes du côté nuit, semblables aux cousines transitoires connues sur Terre.

Les nouvelles observations renseignent sur la configuration actuelle de la magnétosphère d’Uranus, cavité sculptée dans le vent solaire par le champ magnétique de la planète. Fait unique : l’axe magnétique de l’astre se tient très incliné, d’environ 60°, par rapport à l’axe de rotation nord-sud autour duquel la planète tourne en près de 17 heures. Par ailleurs, ce dernier est presque contenu dans le plan de l’écliptique au sein duquel évoluent les planètes du Système solaire. Les résultats ont été obtenus par une équipe internationale qui inclut cinq chercheurs du Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique LESIA1 de l’Observatoire de Paris (Observatoire de Paris/CNRS/Université Pierre et Marie Curie/Université Paris Diderot), ainsi que des scientifiques de l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie de Toulouse et de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble. Les aurores polaires sont des phénomènes lumineux qui caractérisent les planètes dotées d’un champ magnétique global comme : la Terre et les géantes Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Ainsi que leur nom l’indique, elles s’observent au voisinage des pôles magnétiques. Elles y sont provoquées par l’arrivée dans la haute atmosphère de bouffées de particules de la magnétosphère accélérées via des processus complexes, puis guidées le long des lignes de champ magnétique.

Ce flot de particules chargées déverse des dizaines de gigawatts de flux d’énergie, dissipé sous forme de rayonnements. Étudier les aurores permet donc de sonder les magnétosphères à distance, sans s’en approcher. Sur Terre, les plus intenses signalent l’arrivée d’une perturbation due au vent solaire. Ceci peut affecter les réseaux de distribution de l’électricité, le fonctionnement des satellites, voire la santé des astronautes.

La magnétosphère d’Uranus est très atypique. Sa configuration évolue au fil des rotations de la planète (environ 17h) mais aussi des saisons (une révolution autour du Soleil dure 84 ans). Au cours de l’étude, les scientifiques ont ainsi mis en évidence des différences notables à un quart de siècle d’intervalle entre les aurores observées par Voyager 2, au début de l’été local (solstice) dans l’hémisphère éclairé, et celles saisies en image par Hubble, au début de l’automne suivant (équinoxe). La morphologie des points brillants et variables, du coté jour, indique une origine différente imputée à l’interaction particulièrement dynamique à cette époque entre la magnétosphère et le vent solaire.

Images composites des aurores polaires d’Uranus : points brillants.
Les données obtenues en ultraviolet par le télescope Hubble ont été superposées aux observations visibles (disque) de la sonde Voyager 2 et infrarouges (anneaux) du télescope au sol Gemini.
© Laurent Lamy / Observatoire de Paris / CNES / ESA / NASA

Dans les années 1980, les observations des spectromètres ultraviolets embarqués à bord des sondes Voyager 1 et 2 avaient montré que toutes les planètes géantes, gazeuses (Jupiter, Saturne) et glacées (Uranus, Neptune), possèdent des aurores, plus ou moins sensibles au vent solaire. Puis dans la décennie 1990, le télescope Hubble a pris le relais en menant d’intenses campagnes d’imagerie en ultraviolet des aurores de Jupiter et de Saturne. Pour Uranus, la tache était moins aisée. L’astre est deux fois plus éloigné que Saturne, de dimension deux fois plus petites, et les aurores y brillent deux fois moins. En 1998 et 2005, deux tentatives de détection effectuées avec le télescope Hubble, le plus puissant observatoire ultraviolet actif, se sont soldées par un échec.

En novembre 2011, le troisième essai aura été le bon. Pour cela, les chercheurs ont attendu de bénéficier d’une conjonction céleste favorable : un alignement Soleil-Terre- Jupiter-Uranus presque parfait. En cette période de reprise d’activité solaire, après un calme de quatre ans, et un pic attendu vers 2013, ils ont guetté un créneau d’observation propice. En septembre 2011, trois éruptions ont été émises par notre étoile et les chercheurs ont pu calculer - et suivre en direct - leur propagation, de planète en planète. Les salves projetées par le Soleil vers la Terre ont été d’abord détectées par les satellites Stereo de la NASA. Elles se déplaçaient à 2 millions de kilomètres/heure (500 kilomètres/seconde). Deux jours plus tard, elles ont atteint notre globe et la sonde Wind de la NASA. Des aurores intenses ont été relevées par les satellites de surveillance de la NOAA2. Quinze jours après, comme attendu, les ondes de choc ont déclenché des aurores polaires sur Jupiter, enregistrées en radio par Stereo.

En novembre, deux mois plus tard, ces perturbations devaient enfin atteindre Uranus.
Cette étude innovante - menée dans différents domaines de rayonnements et sur plusieurs planètes - n’aurait pu réussir sans les circonstances exceptionnelles d’un alignement entre le Soleil, la Terre, Jupiter et Uranus. Elle atteste de l’intérêt grandissant de la météorologie de l’espace, jeune discipline qui a permis de prédire les effets des soubresauts de l’astre du jour d’un bout à l’autre du Système solaire.

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Référence
Earth-based detection of Uranus’ aurorae, L. Lamy1, R. Prangé1, K. C. Hansen2, J. T. Clarke3, P. Zarka1, B. Cecconi1, J. Aboudarham1, N. André4, G. Branduardi-Raymont5, R. Gladstone6, M. Barthélémy7, N. Achilleos8, P. Guio8, M. K. Dougherty9, H. Melin10, S. W. H. Cowley10, T. S. Stallard10, J. D. Nichols10, and G. Ballester11, Geophysical Research Letters, avril 2012

1 Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique LESIA
2 Department of Atmospheric, Oceanic and Space Sciences, Université du Michigan (États-Unis)
3 Center for Space Physics, Université de Boston (États-Unis)
4 Institut de Recherche en Astrophysique IRAP
5 Mullard Space Science Laboratory, University College de Londres (Royaume-Uni)
6 Institut de recherche du Sud-Ouest
7 Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble IPAG
8 Department of Physics and Astronomy, University College de Londres (Royaume-Uni)
9 Blackett Laboratory, Imperial College de Londres
10 Department of Physics and Astronomy, Université de Leicester (Royaume-Uni)
11 Lunar and Planetary Laboratory, Université d’Arizona (États-Unis)

Contact
 Mathieu Barthelemy
IPAG
mathieu.barthelemy obs.ujf-grenoble.fr

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Mis à jour le 24 avril 2012