Pourquoi les modèles climatiques sous-estiment le déclin de la banquise arctique ?

Communiqué publié le 29 septembre 2011

Depuis quelques décennies, la banquise arctique subit un déclin spectaculaire, qui va bien au-delà des projections des modèles climatiques. La rapidité inattendue de cette disparition vient d’être expliquée par une équipe franco-américaine impliquant notamment le Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement (LGGE-OSUG, CNRS / UJF). Selon eux, les modèles climatiques sous-estiment la vitesse d’amincissement de la banquise. Celle-ci est en réalité près de quatre fois plus rapide que celle calculée par les modèles. À l’origine de ce biais, une "mauvaise" représentation de la dérive des glaces de mer, et donc de leur évacuation vers le sud, à travers le détroit de Fram, hors du bassin arctique. Permettant de corriger l’écart entre simulations et observations, une meilleure prise en compte de ce mécanisme suggère la disparition de la banquise arctique estivale, bien avant la fin du siècle. Ces travaux sont publiés dans la revue Journal of geophysical research le 29 septembre 2011.

L’Arctique perd environ 10 % de sa couche de glace permanente tous les dix ans depuis 1980. De plus, la fonte de la banquise arctique atteint des records : mi-septembre 2007, lors de leur minimum annuel d’extension, les glaces pérennes couvraient une surface de 4,14 millions de km2 [1]. Une triste performance qui a été frôlée de nouveau ce mois de septembre 2011 (4,34 millions de km2). Les simulations climatiques réalisées dans le cadre du GIEC [2] reproduisent effectivement un déclin des glaces de mer arctiques sous l’effet du réchauffement climatique. Elles prédisent la disparition de la banquise estivale à la fin de ce siècle. Toutefois, comparés à 30 ans d’observations détaillées par satellite, ces modèles paraissent optimistes : la banquise arctique s’est amincie sur la période 1979-2008 en moyenne quatre fois plus vite que dans les simulations climatiques. Les observations ne sont donc pas correctement reproduites par les modèles climatiques qui sont calés essentiellement sur des variables globales, comme la température moyenne du globe, et non "régionales".

Banquise arctique.
© Lucas Girard

D’où provient cet écart ? L’explication, selon les chercheurs du CNRS, de l’Université Joseph Fourier et du Massachusetts institute of technology, serait une mauvaise représentation, dans les modèles, du comportement mécanique de la banquise et de la dérive des glaces de mer. Pour le démontrer, les chercheurs se sont intéressés aux mécanismes de dérive des glaces de mer en regard de leur état (épaisseur et concentration), puis ont analysé les prédictions des modèles, en lien avec les données sur le terrain. En 2009, ces mêmes scientifiques avaient mis en évidence une accélération significative de la dérive de la banquise au cours de ces dernières décennies (cf. communiqué de presse du 14 mai 2009). Ils l’expliquent désormais par l’amincissement, devenu plus rapide, de cette glace de mer : une banquise moins épaisse, plus fragile donc, se fragmente plus aisément. Ce qui la rend plus mobile, favorisant son évacuation vers le sud du détroit de Fram, entre le Groenland et l’archipel du Svalbard, en dehors de l’océan Arctique, où elle fondra. Ce mécanisme renforce probablement aujourd’hui le déclin des glaces de mer arctiques.

La dérive des glaces de mer est un processus mal décrit par les modèles. Dans ces derniers, aucune accélération de la dérive et de l’évacuation de la banquise vers le sud n’a lieu : les glaces de mer "modélisées" se comportent comme étant en dérive libre, c’est-à-dire sans interaction mécanique entre les fragments de glace, et ce quelque soit la saison, la période considérée ou encore l’épaisseur des glaces. Ainsi, il n’y aucun lien, dans les modèles, entre amincissement de la banquise et accélération supplémentaire de sa dérive.

Pour corriger l’écart entre simulations et observations en termes de vitesse d’amincissement et de déclin de la banquise arctique, il faudrait imposer une accélération de l’évacuation des glaces à travers le détroit de Fram. La prise en compte de ce mécanisme suggère un océan Arctique dépourvu de glace à la fin de l’été, bien avant la fin du siècle. La disparition de la banquise arctique interviendrait plus vraisemblablement d’ici les prochaines décennies, ce qui ne sera pas sans conséquence sur les écosystèmes, l’exploitation de ressources off-shores, ou les routes maritimes.


Référence(s) :
IPCC climate models do not capture Arctic sea ice drift acceleration : Consequences in terms of projected sea ice thinning and decline, P. Rampal, J. Weiss, C. Dubois, J.M. Campin. J. Geophys. Res. XX Septembre 2011

Contact :
Jérôme Weiss, LGGE/OSUG
weiss lgge.obs.ujf-grenoble.fr, 04 76 82 42 71
NB. Les coordonnées ci-dessus peuvent avoir été mises à jour depuis la publication de cet article.

Emetteurs :

— 

[1Contre 7,5 millions de km2 en moyenne il y a 30 ans.

[2Simulations établies pour le rapport du GIEC de 2007

Mis à jour le 26 novembre 2011