La phase de préparation long terme d’un grand séisme de subduction observée par géodésie spatiale et sismologie

© J M_Flickr
Les mécanismes de préparation des grands tremblements de terre restent mal compris et documentés. C’est pourtant une question cruciale pour parvenir à une meilleure évaluation du risque sismique aux frontières de plaques, à laquelle des chercheurs du laboratoire ISTerre (CNRS / Université Grenoble Alpes / Université Savoie-Mont Blanc / IRD / IFSTTAR ), associés à d’autres laboratoires internationnaux [1], ont tenté de répondre. Deux modèles concurrents ont été proposés pour expliquer la phase de préparation aux grands tremblements de terre : une interprétation proposée est que l’accélération du moment sismique les précédant est déclenchée par un glissement lent sur l’interface, tandis que le modèle alternatif l’explique par une cascade lente de séismes déclenchant finalement le choc principal. Cependant, probablement en raison de la surveillance in situ limitée, ainsi que des limites liées au seuil de détection par les données géodésiques, la phase de préparation des tremblements de terre est généralement étudiée en utilisant uniquement des données sismologiques qui ne captent que la composante sismique de la déformation.

La phase de préparation du séisme en méga-chevauchement de Magnitude 8.1, qui a eu lieu sur la subduction chilienne le 1er avril 2014, est ici analysée. Les études réalisées jusque-là se sont surtout concentrées sur les 15 jours précédant le séisme, où une importante activité sismique a suivi l’occurrence du plus gros foreshock (de Mw6.8), pendant laquelle un très fort signal a été observé. Cependant, les relations entre sismicité et déformation sont encore mal comprises, et peu de choses sont connues sur la possible occurrence d’un précurseur à long terme.

Figure 1. Déformation pré-sismique et contenu fréquentiel des séismes précurseurs sur une période de quatre ans avant le méga-thrust du 1er avril 2014 dans le nord du Chili. En haut à droite : Carte de la sismicité : épicentres des séismes précurseurs colorés en fonction de leur période d’occurrence. Les étoiles noires et roses indiquent les épicentres du séisme principal de Mw8.1 et du plus gros foreshock de Mw6.7. La distribution de glissement du séisme principal de Mw8.1 est représentée par des contours tous les 1 mètre. Les triangles indiquent l’emplacement des stations GPS, les triangles rouges étant les stations dont les séries temporelles sont représentées à gauche. En haut à gauche : Séries temporelles aplaties des stations GPS côtières, projetées dans la direction normale à la fosse, et triées par latitude. Les couleurs montrent la variation des vitesses GPS moyennes calculées dans des fenêtres glissantes de 6 mois. Centre gauche : Evolution de la fréquence des séismes précurseurs sur l’interface. Les lignes indiquent les valeurs moyennes des résidus normalisés, calculées pour chaque période de temps par rapport au modèle de GMPE d’Abrahamson et al. [2015], à hautes (rouge - jaune) et basses (violet - bleu) fréquences. L’écart-type du modèle est représenté par des ombrages de couleurs, tandis que les points indiquent les résidus pour chaque séisme. En bas à gauche : Activité sismique au cours du temps (points), colorés en fonction de leur période d’occurrence. La courbe bleue montre le nombre cumulatif de séismes. Les lignes verticales rouges, bleues et jaunes séparent les 3 périodes pré-sismiques et représentent respectivement le séisme principal de Mw8.1 du 1er avril 2014, le gros foreshock de Mw6.7 du 16 mars 2014 qui est suivi d’une forte augmentation du taux de sismicité deux semaines avant le choc principal, et l’essaim sismique de juillet 2013. / Crédits : Jesus Piña Valdes / Jorge Jara / Anne Socquet

Dans cette étude, il est montré qu’un groupe de stations GPS côtières a subi une accélération vers l’ouest huit mois avant le choc principal (figure 1). Ces déplacements de surface peuvent être modélisés comme un glissement lent équivalent à une Mw6.5 sur l’interface de subduction, localisé autour de la zone qui a rompu par la suite (figure 2). La comparaison avec l’activité sismique sur la même période, indique que ce glissement était asismique à 80% (i.e. silencieux). Quinze jours avant le séisme, le plus gros foreshock de la séquence a lieu, et il est suivi par une forte augmentation de la sismicité et de la déformation associée (figure 1), ce qui suggère qu’une séquence de répliques et d’afterslip se superpose alors au glissement asismique préexistant. Ces observations plaident en faveur une accélération du glissement sur l’interface de subduction qui déclencherait la rupture des petites aspérités sismiques, dont les pré-shocks sont la signature, et finalement la rupture principale.

Figure 2. A gauche : Evénements de glissement lent à long (8 mois, en bleu) et court terme (15 jours, en violet), précédant le choc principal de Mw8.1, superposés à la distribution de couplage intersismique en gris [Métois et al., 2016], et de glissement co-sismique indiquée par les contours noirs tous les 1 mètre. L’activité sismique des précurseurs est également affichée pour les mêmes périodes que celles définies en figure 1 (en bleu, violet et vert, Mw> 4). Les épicentres du choc principal et du précurseur de Mw 6.7 sont représentés par des étoiles noires et roses. / Crédits : Anne Socquet A droite : Spectres moyens de Fourier calculés à la station PB08 pour les séismes d’interface regroupés en 4 périodes différentes : intersismique en vert, pré-sismique 1 en bleu, pré-sismique 2 en violet et post-sismique en orange. La station PB08 étant située à une distance quasi-égale des tremblements de terre étudiés, les variations calculées dans les formes de spectres de Fourier ne devraient pas être affectées par les variations d’atténuation mais caractérisent plutôt la source du tremblement de terre.

Sur cette même période de 8 mois précédant le tremblement de terre principal, les données accélérométriques montrent en outre que le contenu fréquentiel des séismes précurseurs (foreshocks) évolue. L’analyse des spectres de Fourier (figure 2), ainsi que l’évolution temporelle des résidus par rapport aux mouvements au sol simulés par les Equations de Prédiction de Mouvements du Sol (GMPEs) (figure 1) montrent que le rayonnement à haute fréquence des foreshocks diminue lorsque le glissement lent s’initie sur l’interface de subduction. De tels changements du contenu fréquentiel des séismes suggèrent que la source de ces séismes évolue progressivement. En réponse au glissement lent de l’interface de subduction, les ruptures sismiques paraissent ainsi devenir de plus en plus lisses et / ou plus lentes Ces observations sont interprétées comme une propagation graduelle des ruptures sismiques au-delà des aspérités sismiques vers les zones métastables environnantes (figure 3). Ceci pourrait constituer le mécanisme de préparation conduisant à la nucléation du séisme principal qui rompt une large zone constituée de plusieurs aspérités, ainsi que des zones métastables qui les relient (figure 3).

Figure 3. Interprétation schématique de la phase de préparation du tremblement de terre de Mw8.1. A / Pendant la phase intersismique, l’interface de subduction glisse lentement (jaune) en profondeur et dans des zones de couplage faible, où les aspérités sismiques sont clairsemées. La rupture de petites aspérités sismiques résistant à ce glissement lent génère la sismicité de fond (rouge). B / Huit mois avant le choc principal, le glissement lent accélère dans la zone sismogénique (peut-être facilité par la migration des fluides), autour de la zone rompue par le séisme principal. Les ruptures sismiques commencent à se propager dans la zone conditionnellement stable entourant les aspérités de friction (rouge clair). C / Après le plus grand foreshock le 16 mars 2014 (Mw6.7), le glissement lent continue, mais un important signal sismique généré par la cascade post-sismique s’y superpose. D / Le 1er avril 2014, un tremblement de terre de Mw8.1 rompt une grande partie de l’interface de subduction, brisant les aspérités sismiques (rouge) et les zones environnantes conditionnellement stables (rouge clair). / Crédits : Anne Socquet

Le forçage asismique lent déclenche donc un nombre accru d’événements sismiques avec un élargissement des surfaces de rupture via une propagation progressive de la rupture vers les zones conditionnellement stables entourant de petites aspérités sismiques, un mécanisme conduisant finalement à la nucléation de rupture principale.


Source

Ce travail de recherche a fait l’objet d’un article intitulé An 8 month slow slip event triggers progressive nucleation of the 2014 Chile megathrust ; Socquet, A., Piña Valdes, J. P., Jara, J., Cotton, F., Walpersdorf, A., Cotte, N., Specht, S., Ortega-Culaciati, F., Carrizo, D., and Norabuena, E. (2017),Geophysical Research Letters, 44
doi:10.1002/2017GL073023

Contact scientifique local

 Anne Socquet, (ISTerre/OSUG), anne.socquet univ-grenoble-alpes.fr

Cette actualité est également relayée par

 l’institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)

[1Les laboratoires associés : GFZ German Reseach Center for Geosciences (Potsdam, Allemagne) / Department of Geophysics, Faculty of Physical and Mathematical Sciences, Universidad de Chile (Santiago, Chili) / Instituto Geofisico del Peru (Lima, Perou)

Mis à jour le 18 juillet 2018