Quand les océans chuchotent aux aquifères

Better Science through Better Data 2017, figshare © Scientific Data The Ludic Group LLP ; Modified by T. Lecocq (added groundwater and changed text on the left)
Une étude réalisée par des chercheurs issus de l’Observatoire royal de Belgique, du laboratoire Géosciences Rennes (OSUR, CNRS / Université Rennes 1), de l’Institut des sciences de la Terre (ISTerre/OSUG, CNRS / UGA / IRD / IFSTTAR / USMB) et de l’Institut fédéral allemand des géosciences (Allemagne) montre le fort potentiel des méthodes de bruit sismique pour ausculter en continu les stocks d’eau dans les milieux souterrains à partir d’observations de surface. L’étude s’appuie sur un jeu de données exceptionnel, consistant en 30 années d’observations sismiques continues, enregistrées avec les mêmes capteurs en Allemagne.

L’eau souterraine est une ressource vitale à la fois pour l’humanité et les écosystèmes. Face aux défis posés par les changements globaux, il est indispensable de bien comprendre la réponse des aquifères aux pressions climatiques et anthropiques. Aujourd’hui, la surveillance est classiquement assurée par des réseaux de piézomètres, mais de nouvelles méthodes géophysiques ont récemment émergées pour compléter les suivis à l’échelle locale (géophysique appliquée, gravimétrie au sol) ou à l’échelle du pays (gravimétrie satellitaire). Cependant, il n’existe pas de méthode robuste pour couvrir l’échelle régionale, pourtant critique pour les questions de ressources en eau.
Les méthodes sismiques dites passives sont en rapide développement depuis le début des années 2000. Elles consistent à exploiter le bruit sismique généré en continu par les océans. En effet, la houle, générée par les tempêtes, induit sur le fond des océans et sur les côtes des variations de pression qui sont alors converties en ondes sismiques de faible amplitude, que les sismomètres installés sur les continents enregistrent. Il est ainsi possible de déterminer les variations de vitesse des ondes sismiques entre les stations avec une très grande précision. Or, ces variations étant liées notamment aux modifications de l’état mécanique des milieux souterrains, elles peuvent s’interpréter comme la réponse du milieu solide aux variations de stock/pression d’eau dans les aquifères.
L’essentiel de la démarche des chercheurs a consisté à bien comprendre le sens de ces données indirectes et à définir la méthodologie pour en extraire la composante hydrologique. Pour cela, 30 ans d’enregistrements continus de quatre stations sismiques du réseau Gräfenberg (Allemagne) ont été traités. Ces enregistrements montrent des variations interannuelles de vitesse de l’ordre de 0.01 %. Deux processus de surface ont été disséqués pour expliquer les variations observées :

  • la diffusion des ondes thermiques dans les milieux souterrains. Les variations interannuelles de température ont notamment un effet important, puisqu’elles pénètrent des épaisseurs importantes, en gardant en mémoire les évènements du passé ;
  • les variations de stock dans les systèmes aquifères. Bien que les variations de stock se localisent en profondeur dans des couches aquifères, les variations de vitesse sont très importantes.
Carte topographique de la zone d’étude indiquant les stations sismiques (triangles rouges), la zone de sensibilité maximale (fin contour noir), les piézomètres (numéros 1 à 3) et la mesure de débit de Bärenthal (lettre B).
Variations de vitesse dv/v, comparées aux résultats des modélisations environnementales. (A) dv/v observées (noir), modélisation de pression thermo-élastique (rouge) et hydrologique (bleu), et du modèle de mélange (tirets noir) ; (B) dv/v corrigées de la contribution hydrologique (noir), comparées à la contribution thermo-élastique (rouge) ; (C) dv/v corrigées de la contribution thermo-élastique (noir), comparées à la contribution hydrologique (bleu) et à l’indice de l’oscillation atlantique multi décadaire (vert)

Les réseaux de surveillance sismologique se sont constitués aux échelles nationale et globale depuis les années 1960 et de longues chroniques temporelles reposant sur une densité de capteurs qui ne cesse de croitre sont donc disponibles, notamment via l’infrastructure RESIF. Les méthodes d’analyse de bruit sismique offrent donc d’énormes possibilités pour la surveillance à long terme des stocks d’eau souterrains à partir des observations de surface. Dans un avenir proche, l’objectif est de pouvoir analyser des images du sous-sol en 4D [dans les 3 dimensions de l’espace et dans le temps] par l’exploration de différentes fréquences pour obtenir une meilleure résolution en profondeur, tandis que les variations latérales seront quant à elles mieux estimées par l’utilisation de réseaux sismiques plus denses. Il reste cependant un enjeu de taille pour faire de la sismologie un outil pour l’hydrologie car les relations pétro-physiques, liant la vitesse des ondes et les paramètres hydrologiques, restent très peu contraintes.
Cette étude illustre les profondes interactions qui lient les enveloppes fluides et solides de la Terre. Elle souligne également les larges potentiels de développements scientifiques à l’interface entre "Terre Solide" et "Zone Critique", et les opportunités de rapprochements entre deux infrastructures de recherche portées par le CNRS-INSU : OZCAR (Observatoire de la zone critique) et RESIF (Réseau sismologique et géodésique français)


Source

Monitoring ground water storage at mesoscale using seismic noise : 30 years of continuous observation and thermo-elastic and hydrological modeling. Thomas Lecocq ; Laurent Longuevergne ; Helle Anette Pedersen ; Florent Brenguier ; Klaus Stammler, Scientific Reports 7, Article number : 14241 (2017). doi:10.1038/s41598-017-14468-9

Contact scientifique local

  Helle Anette Pedersen, ISTerre/OSUG helle.pedersen[at]univ-grenoble-alpes.fr,+33 (0)4 76 63 52 59

Cet article a été publié par

► l’institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)

Mis à jour le 18 juillet 2018