Du méthane émis par les activités humaines depuis l’Empire romain

Après avoir analysé le méthane piégé dans des carottes de glace du Groenland, les calottes polaires étant les meilleures archives de l’histoire atmosphérique, de chercheurs issus de cinq pays [1], dont la France avec le LGGE et le GIPSA-lab, ont découvert que l’homme émet du méthane depuis l’antiquité, notamment via des feux de végétation. Ils montrent également que les feux de végétation ont diminué pendant le déclin de l’Empire romain et celui de la dynastie Han en Chine, mais augmenté pendant l’expansion de la période médiévale. Ces travaux ont été publiés dans la revue Nature du 4 octobre 2012.

Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, décrit l’ère géologique actuelle comme "l’Anthropocène" (ère humaine). Cette ère commence au milieu du XIXe siècle avec la révolution industrielle qui marque le début des fortes émissions de gaz par l’homme dans l’atmosphère. Mais quand ces émissions ont-elles réellement commencé ? En d’autres termes, depuis quand l’homme influence-t-il la composition de l’atmosphère ?
Le méthane, notamment, est un important gaz à effet de serre émis par diverses sources naturelles et anthropiques, dont les concentrations dans l’atmosphère ont varié sur différentes échelles de temps par le passé, sans que les causes de ces variations soient toujours bien comprises.
Il y a une dizaine d’années, le célèbre climatologue William Ruddiman suggérait que l’homme avait commencé à influencer le climat bien avant l’Anthropocène. Cette hypothèse a été critiquée, mais quelques années plus tard des mesures de la composition isotopique du méthane emprisonné dans la glace antarctique indiquaient que des feux de végétation probablement dus à l’homme contribuaient depuis le XVIe siècle à augmenter la concentration atmosphérique en méthane. Les différentes sources de méthane ayant des signatures isotopiques spécifiques, ces mesures isotopiques permettent en effet de discriminer les sources de méthane telles les marécages, les bovins, les feux de végétation ou les combustibles fossiles.

Des chercheurs issus de cinq pays se sont penchés sur l’histoire atmosphérique plus ancienne du méthane. Ils ont utilisé pour ce faire deux carottes de glace provenant du forage glaciaire NEEM [2] au Groenland et correspondant aux deux derniers millénaires, dont ils ont analysé la composition en 13C du méthane (CH4) qu’elles contenaient. La précision sans précédent et la haute résolution temporelle de ces mesures ont permis de mettre en évidence, entre un siècle avant Jésus Christ et le XIXe siècle, trois périodes d’augmentation à l’échelle de quelques siècles ainsi qu’une tendance long terme à la décroissance de la signature isotopique 13C du méthane.

Évolution de -100 ans à +1600 ans de la signature isotopique du méthane (en jaune), ainsi que de la teneur en méthane dans l’atmosphère (en rouge) et du taux de déforestation (en bleu).

Ces données ont été interprétées à l’aide de modèles [3] d’équilibre isotopique dans l’atmosphère ce qui a permis de reconstruire l’histoire de la teneur atmosphérique en méthane, dont la tendance long terme est à l’augmentation, et d’attribuer ses variations isotopiques à l’échelle multicentennale à des changements dans les sources du méthane. La comparaison de ces changements à des reconstitutions de données climatiques (température, précipitations) et de données sur l’expansion de l’humanité (population, taux de déforestation) a ensuite permis d’établir des corrélations.
Ces travaux ont ainsi permis de montrer que les feux de végétation liés à la déforestation ainsi qu’à l’utilisation du bois pour le chauffage et la métallurgie avaient diminué pendant le déclin de l’Empire romain et celui de la dynastie Han en Chine mais augmenté pendant l’expansion de la période médiévale. Concernant la tendance long terme des concentrations de méthane, les résultats suggèrent que les activités humaines sont responsables de 20 à 30 % des émissions totales de méthane par les feux de végétation entre un siècle avant Jésus Christ et le XVIe siècle, c’est-à-dire longtemps avant la révolution industrielle.

Relai de partenaires et couverture médiatique

Contacts scientifiques locaux
 Patricia Martinerie, LGGE-OSUG : (+33) 04 76 82 42 14, martinerie lgge.obs.ujf-grenoble.fr
 Emmanuel Witrant, GIPSA-lab : (+33) 04 76 82 63 27, emmanuel.witrant ujf-grenoble.fr

Référence
Natural and anthropogenic variations in methane sources during the past two millennia, C. J. Sapart1, G. Monteil1, M. Prokopiou1, R. S. W. van de Wal1, J. O. Kaplan2, P. Sperlich3, K. M. Krumhardt2, C. van der Veen1, S. Houweling1, 4, M. C. Krol1, T. Blunier3, T. Sowers5, P. Martinerie6, E.Witrant7, D. Dahl-Jensen3 & T. Röckmann1, Nature, 4 octobre 2012.

1 Institute for Marine and Atmospheric Research Utrecht, Utrecht University, The Netherlands
2 ARVE Group, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), Switzerland
3 Center for Ice and Climate, Niels Bohr Institute, University of Copenhagen, Denmark
4 SRON Netherlands Institute for Space Research, The Netherlands
5 Earth and Environmental Systems Institute, Penn State University, USA
6 Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement (CNRS/UJF), Grenoble, France
7 Grenoble Image Parole Signal Automatique (UJF/CNRS), St Martin d’Hères, France

[1Pays-Bas, Suisse, Danemark, USA et France

[214 pays sont impliqués dans le projet de forage glaciaire NEEM (http://neem.dk/) au Groenland, projet soutenu en France par l’ANR (projet "Vulnérabilité Milieux Climat 2007" coordonné par Valérie Masson-Delmotte (LSCE/IPSL)), le CEA, l’INSU-CNRS et l’IPEV. Le forage a atteint le socle rocheux, à 2537 mètres de profondeur, en juillet 2010 (voir la campagne de carottage de 2008).

[3La mise en commun des expertises du LGGE sur la physique de la neige et la composition de l’air et du GIPSA-lab sur le traitement des équations du transport de gaz en milieu hétérogène a permis de développer un nouveau modèle numérique LGGE-GIPSA très performant.

Mis à jour le 16 octobre 2012