Glaciers himalayens : des bilans de masse régionaux très contrastés

© CNES 2008 / Astrium

Une étude publiée dans Nature cette semaine conduite par une équipe de chercheurs norvégiens et français, comprenant des chercheurs du LGGE et du LTHE, relance le débat sur la fonte des glaciers himalayens en cartographiant les changements complexes et régionaux de ces masses de glace.

Les glaciers sont un des plus grands réservoirs d’eau douce de notre planète, et leur fonte ou leur croissance est l’un des meilleurs indicateurs du changement climatique. Cependant, la connaissance de l’évolution des glaciers a été entravée par le manque de données, en particulier dans de vastes régions difficile d’accès comme l’Himalaya. Les données de satellites fournissent désormais le moyen d’obtenir des bilans de masse région par région.

Des estimations divergentes

Une étude de 2010 [1] utilisant les mesures prises par les deux satellites de la mission GRACE (Gravity Recovery and Climate Experiment) suggérait que les glaciers de l’Himalaya et du plateau tibétain perdaient environ 50 gigatonnes de glace par an. Mais ces résultats ont été réfutés en février 2012 par un autre groupe de chercheurs qui a utilisé les mêmes données, mais les a corrigées différemment pour proposer que la perte de glace ne représentait qu’un dixième de cette valeur [2].

Vue des glaciers du Karakorum par le satellite SPOT5
Les quelques 20000 km² de glaciers que compte cette région ont eu un comportement hors norme par rapport aux autres glaciers de l’Himalaya et du globe, ne perdant quasiment pas de masse au cours de la dernière décennie.
© CNES 2008 / Astrium

Dans une nouvelle étude, publiée cette semaine dans la revue Nature, les scientifiques s’appuient sur les données d’autres satellites d’observation de la Terre pour fournir un nouveau bilan de masse sur toute la zone de l’Hindu Kush-Karakoram-Himalaya (HKKH), un groupe de chaînes de montagnes de 2000 km de long situé en Asie. Ils concluent que les glaciers du HKKH ont perdu 12 gigatonnes de glace par an sur la période 2003-08, une valeur intermédiaire entre les deux études utilisant les données GRACE.

Une nouvelle méthode de traitement de données...

Cette nouvelle étude combine les données de l’altimètre laser de la mission de la NASA ICESat avec le modèle numérique d’élévation de la navette spatiale Endeavour (SRTM) et des images Landsat, pour cartographier les changements d’épaisseur glaciaires du HKKH sur la période 2003-09.
ICESat a été lancé par la NASA en 2003 pour suivre l’évolution des calottes polaires en mesurant les changements de l’altitude de leur surface avec un altimètre laser. « Il a été conçu pour les zones très plates des calottes polaires et ne peut pas être facilement utilisé pour cartographier les terrains accidentés comme ceux de l’Himalaya », explique Andreas Kääb, un expert en télédétection à l’Université d’Oslo en Norvège, qui a dirigé l’étude. Pour contourner ce problème, l’équipe a systématiquement corrigé les données ICESat en utilisant les données SRTM.
Kääb et ses collègues ont également vérifié que l’altitude des zones stables autour des glaciers ne changeait pas au cours du temps, afin de s’assurer de la validité des changements d’altitude détectés par ICESat à la surface du glacier.

… pour une cartographie fine du comportement des glaciers

Cette dernière étude montre qu’entre 2003 et 2008, les glaciers himalayens se sont amincis d’environ 21 centimètres par an en moyenne, soit 2 à 3 fois moins que la moyenne de tous les glaciers du globe. Mais cette valeur moyenne masque d’importantes disparités sous-régionales liées aux différentes conditions climatiques influençant les quelques 60 000 kilomètres carrés de glaciers que compte l’HKKH.
Dans la sous-région du Jammu-Kashmir, le taux d’amincissement atteint environ 66 cm par an, tandis que plus au nord et à l’ouest, dans la région du Karakoram, ils étaient près de dix fois plus lents ce qui confirme la stabilité des glaciers du Karakoram [3]. Autre résultat surprenant, la fonte des glaciers n’est que très peu influencée par la présence ou non de débris à leur surface.
De telles variations régionales « sont très importantes pour les millions de personnes résidant dans les bassins fluviaux qui sont alimentés par les glaciers », souligne Yves Arnaud, chercheur au LGGE / LTHE à l’Observatoire de Grenoble.

Une particularité des glaciers himalayens, ici au Népal, est leur important couvert détritique à basse altitude.
Les glaciologues croyaient que ces débris rocheux isolaient la glace sous-jacente et limitaient leur fonte. L’étude de Kääb et collaborateurs vient de démontrer que ce n’est pas le cas, en tout cas, pas à l’échelle de toute une langue glaciaire.
© P. Wagnon, LGGE-OSUG.

Vers un terrain d’entente des données

« Cette étude est la première mesure régionalement complète [des glaciers de l’Himalaya] qui s’accorde avec les études de terrain individuelles », explique Cogley, un glaciologue à l’Université Trent à Peterborough en Ontario, dans un article de perspective publié dans le même numéro de Nature [4]. Il souligne, toutefois, que les écarts avec les autres études satellites et les extrapolations à l’échelle régionale des mesures sur le terrain demeurent : "Bien que les résultats ICESat montrent deux fois plus de perte de glace que les données ré-interprétées de GRACE, ce chiffre est encore trois fois inférieur à celui des pertes régionales estimées sur la base d’études de terrain" [5]. Du chemin reste donc à parcourir avant de réconcilier les différentes techniques d’observation des glaciers de l’Himalaya.

Le sort des glaciers

Etienne Berthier, chercheur au LEGOS à l’Observatoire Midi-Pyrénées, souligne que cette nouvelle étude, tout comme les observations de GRACE, couvre moins de 10 ans et n’indique donc pas une tendance climatique ou ne permet pas de prévoir le devenir des glaciers de l’Himalaya, ce qui nécessiterait des données recueillies durant plusieurs décennies. « Il est important de pérénniser les réseaux d’observations des glaciers, à la fois sur le terrain mais aussi à partir des satellites ». ICESat a cessé de fonctionner fin 2009 et son successeur, ICESat-2, ne sera mis en orbite qu’en 2015, au mieux.
La fonte de ces glaciers contribue à environ 1% de la hausse du niveau global de la mer - une petite contribution. Au niveau hydrologique, les variations de masse des glaciers ont contribué entre 2% et 3% du débit de l’Indus et du Gange lorsqu’ils quittent les montagnes himalayennes, alors que dans le bassin supérieur de l’Indus la contribution s’élève à près de 10% du débit fluvial annuel.
L’équipe continue de surveiller les glaciers, à travers notamment le projet "Glaciers_cci" financé par l’ESA et le projet Top Glaciers, financé par le CNES, en combinant à la fois des données archivées avec de nouvelles données provenant des missions satellitaires actuelles et future (notamment Spot5 et Pléiades et les missions Sentinel de l’ESA). Les glaciologues travaillent également avec d’autres géophysiciens et le CNES pour préparer un futur altimètre spatial qui complétera ICESat-2, Z-Earth.

Relais et couverture médiatique
 Brèves diffusées le 22 août par

 Podcast sur la fonte des glaciers de l’Himalaya (en anglais)

Référence
Contrasting patterns of early 21st-century glacier mass change in the Himalayas, Andreas Kääb1, Etienne Berthier2, Christopher Nuth1, Julie Gardelle3 & Yves Arnaud4, Nature, le 22 août. Lire en ligne.

1 Department of Geosciences, University of Oslo, PO Box 1047, Blindern, 0316 Oslo, Norway
2 CNRS, Université de Toulouse, LEGOS, 14 avenue Ed. Belin, Toulouse 31400, France
3 CNRS- Université Grenoble 1, LGGE, 54 rue Molière, BP 96, 38402 Saint Martin d’Hères Cedex, France
4 IRD- Université Grenoble 1, LTHE/LGGE, 54 rue Molière, BP 96, 38402 Saint Martin d’Hères Cedex, France

Cette étude est financée par l’ESA à travers ses projets Globglacier et Glacier_cci et, au niveau français, par le CNES (programme TOSCA) et le PNTS.

Contacts scientifiques
Etienne Berthier (actuellement joignable en Argentine), LEGOS-OMP : 00 54 261 524 42 36 - etienne.berthier legos.obs-mip.fr
Julie Gardelle (actuellement en rédaction de thèse), LGGE-OSUG : gardelle lgge.obs.ujf-grenoble.fr

[1Matsuo, K. & Heki, K. Earth Planet. Sci. Lett. 290, 30–16 (2010).
Lire l’article (en anglais)

[2Jacob, T., Wahr, J., Pfeffer, W. T. & Swenson, S. Nature 482, 514–518 (2012).
Lire l’article (en anglais)

[3Gardelle et al., Nature Geoscience, 5(5), 2012
Lire la brève du 16 avril sur le site de l’OSUG

[4News&View, Nature, 22/08/2012

[5Cogley, G. Nature 488, 468–469 (2012).
Lire l’article

Mis à jour le 31 août 2012