Histoire de l’Himalaya :
quand des roches éclogitiques livrent leur trajet...

La microcartographie pour retracer l’évolution métamorphique des roches continentales en subduction au nord-ouest de l’Himalaya

En combinant analyse micro-cartographique et modélisation thermodynamique, des chercheurs français de l’Institut des Sciences de la Terre de Grenoble en collaboration avec des chercheurs du département des Sciences de la Terre de l’Université d’Ottawa, ont reconstitué le trajet Pression-Température de roches (éclogites) provenant du massif de Stak au nord-ouest de l’Himalaya, et ce malgré leur forte rétromorphose. L’identification de ce nouveau massif éclogitique souligne l’étendue de la subduction continentale au sein de la chaîne et met en évidence une province éclogitique dans cette région comparable en taille à celles de Norvège ou de Dabie Shan en Chine. Cette étude est publiée dans la revue Geology.

La chaîne himalayenne résulte du mouvement relatif vers le Nord de la plaque indienne qui a entraîné la fermeture par subduction océanique de l’océan téthysien, puis sa collision avec la plaque asiatique. Cette collision a été précédée par un épisode de subduction continentale au court duquel la marge indienne s’est enfoncée sous la plaque asiatique. Lors de cet épisode, les roches de la marge indienne ont subi d’intenses pressions avec une élévation de température, elles se sont transformées, métamorphisées, avec l’apparition d’un assemblage de minéraux particuliers (grenat, clinopyroxène, quartz), dit éclogitiques. La poursuite de la collision a provoqué des chevauchements qui ont permis à ces roches de remonter à la surface. Ce faisant, elles ont subi une rétromorphose qui a brouillé les pistes de leur histoire.

Carte de la syntaxe NW himalayenne.
Y sont reportés les massifs éclogitiques de Kaghan, Stak et du Tso Morari et de l’Ama Drime (Himalaya central).

Jusqu’où ces roches ont-elles pu s’enfoncer, jusqu’à quelles pressions et températures ont-elles été soumises ? C’est la question que se posent les pétrologues pour comprendre l’histoire de l’Himalaya, mais plus généralement les processus à l’œuvre lors de la genèse des chaînes de montagnes.

Les roches de ce types sont relativement rares, le long des 2000 km de la chaîne himalayenne, seulement trois massifs éclogitiques on été découverts ces 20 dernières années. Dans la partie Est, le massif de l’Ama Drime, et dans la partie Ouest les massifs de Kaghan et du Tso Morari.
Un quatrième massif éclogitique a été décrit par des chercheurs français en 1998 dans la vallée de l’Indus au Nord du Pakistan près de la localité de Stak, mais la rétromorphose très marquée n’avait pas permis à ce jour de préciser les conditions du pic du métamorphisme et donc de reconstituer le trajet pression-température.

L’étude pétrologique d’un échantillon en provenance du massif de Stak a permis d’identifier trois différents assemblages de minéraux. Un assemblage de haute pression avec du grenat, de l’omphacite et de la phengite. Cet assemblage s’est déstabilisé avec formation en inter-croissances (appelées symplectites), de clinopyroxene, plagioclase et amphibole – ce qui donne un dessin spectaculaire. Enfin, est surimposée un assemblage plus tardif à amphibole et biotite. Les chercheurs de Grenoble et d’Ottawa ont réalisé une étude chimique détaillée d’une petite zone d’un échantillon de roche mesurant 0.52 mm × 0.67 mm grâce à une microsonde électronique. Des cartes de composition chimique ont été acquises et traitées en utilisant le logiciel XMapTools [1]. Pour chaque assemblage, des estimations P-T ont été effectuées en utilisant les données des cartes chimiques, ce qui a conduit à la reconstitution d’un trajet Pression-Température basée sur environ 200 000 estimations. Ce résultat replacé dans un diagramme de phase calculé par minimisation d’énergie permet de prédire, pour des conditions de Pression et de Température données, les assemblages minéralogiques stables et de les comparer avec les observations dans les échantillons.

Reconstitution du trajet Pression-Température d’une éclogite du massif de Stak.
Dans le diagramme Pression vs Température, les champs avec les différents assemblages de minéraux modélisés sont représentés. Chaque point de couleur représente une estimation Pression-Température. Les localisations des compositions chimiques utilisées sont reportées dans les quatre figures à droite.

Ainsi, ces roches ont d’abord été enfouies jusqu’à environ 75 km où la pression atteint 2,5 gigapascals et la température de plus de 700°C, puis elles sont remontée rapidement jusqu’à 45km sans avoir le temps de se rééquilibrer avec la température ambiante, par la suite le trajet refroidit ce qui signifie que la roche remonte plus lentement en s’équilibrant avec les roches environnantes plus froides. Ce trajet Pression-Température reconstituté montre que le massif éclogitique de Stak a subit une histoire métamorphique comparable aux massifs voisins de Kaghan et du Tso Morari. La présence d’une province éclogitique de plus de 500 km de long signifie qu’une grande partie de la marge indienne est descendue en subduction continentale.

Il faut rappeler que si le processus de la subduction océanique a été compris au moment de la tectonique des plaques, la possibilité d’une subduction continentale au sein des chaînes de montagnes n’a été proposée que beaucoup plus tard, au début des années 80. On pensait en effet que la lithosphère continentale était trop légère pour pouvoir être emportée dans la subduction. La possibilité d’une subduction continentale a été proposé pour l’Himalaya par M. Mattauer en 1986 mais restait encore à prouver.

Source :
Deciphering High-Pressure metamorphism in collisional context using microprobe-mapping methods : application to the Stak eclogitic massif (NW Himalaya), P. Lanari1, N. Riel1, S. Guillot1, O. Vidal1, S. Schwartz1, A. Pêcher1, K. Hattori2, Geology, 41, 111-114, 2013.

1 Institut des Sciences de la Terre (CNRS/Université Joseph Fourier/Université de Savoie/IRD/IFSTTAR -OSUG), Grenoble, France.
2 Department of Earth Sciences, University of Ottawa, Canada.

Contact scientifique :
Stéphane Guillot, ISTerre@OSUG : stephane.guillot ujf-grenoble.fr | 04 76 63 59 08.

Cette actualité est également relayée par :
 le CNRS-INSU
...

— 

Mis à jour le 4 mars 2013