Les grands séismes du dernier millénaire en Himalaya appelés à se reproduire

Durant le dernier millénaire, toute l’énergie élastique générée par la convergence Inde-Tibet a été relâchée via une quinzaine de grands séismes. Leur chronologie irrégulière et leurs surfaces de rupture se superposant partiellement suggèrent que l’énergie emmagasinée entre deux tremblements de terre n’est pas totalement relâchée à chaque grand séisme. Ce relâchement irrégulier pourrait engendrer, dans toute la partie centrale de l’Himalaya, des événements aussi grands, voire même plus grands que celui qui a affecté en 1950 la partie orientale de la chaîne himalayenne, avec une magnitude proche de 8.5. La synthèse de travaux réalisés par des équipes françaises -dont ISTerre fait partie- en collaboration avec des chercheurs Indiens et Népalais depuis 1995, grâce à un soutien quasi-constant du CNRS-INSU, a été publiée en ligne dans la revue « Earth and Planetary Science Review » le 19 septembre dernier.

Le sous continent indien, détaché de l’Afrique il y a 106 millions d’années, est entré en collision avec l’Eurasie voici 56 millions d’années ; depuis, l’Inde tente de progresser sous l’Himalaya-Tibet, et actuellement à la vitesse de 2 cm/an. Le contact entre les deux blocs se fait au niveau d’un grand chevauchement, le MHT (Main Himalayan Thrust – chevauchement himalayen principal ou chevauchement basal). C’est là que les contraintes s’accumulent et se relâchent, provoquant la sismicité de toute la zone himalayenne.

Les grands séismes himalayens du dernier millénaire
A) pour le XXème siècle, définis principalement par les données instrumentales, ainsi que par les dommages de surface ; B) du XVIème au XIXème siècle, définis à partir des dommages de surface ; C) du XIIème au XVème siècle, définis à partir des tranchées paléo-sismologiques (les flèches rouges correspondent aux tranchées ayant enregistré les différents événements).

L’étude de la sismicité historique dans cette région pose une question majeure : un grand tremblement de terre comme celui de 1934 (magnitude de moment -Mw – proche de 8.1), libère-t-il toute l’énergie stockée entre deux séismes par la convergence entre le Tibet et l’Inde, ou bien le relâchement de cette énergie est-il partiel ou encore lié à une énergie demeurée non libérée lors de séismes antérieurs ?

Pour répondre à cette question, les auteurs ont entrepris la revue des grands tremblements de terre du dernier millénaire en Himalaya (Fig. 1). Ils ont combiné l’analyse des enregistrements sismiques, de la cartographie des zones d’iso-intensité des dommages, de la paléo-sismicité révélée par une vingtaine de tranchées réalisées à travers les escarpements de failles au front de l’Himalaya ; enfin ils ont tenu compte des archives historiques et des structures sédimentaires induites par les séismes (séismites) du bassin de Kathmandu.

Un exemple de déformation affectant les sédiments sous l’effet des séismes (sismites) dans le bassin de Katmandu

Ce bassin est en effet rempli de sédiments meubles qui amplifient les mouvements du sol lors des séismes et induisent une suite de destructions/reconstructions d’un grand nombre d’édifices (Fig. 2) dans cette zone au riche passé historique. Ces sédiments meubles sont également affectés par des déformations lors des grands séismes (séismites) (Fig 3).

Les hypocentres (source des séismes) des tremblements de terre de 1934 (Mw 8.1) et de 1833 (Mw 7.6) ont été localisés. Leur position indique que les ruptures provoquées par ces séismes se sont partiellement superposées le long du chevauchement himalayen principal (MHT) ; ce qui signifie qu’une partie de l’énergie libérée par le tremblement de terre de 1934 était emmagasinée avant 1833 et n’avait pas été libérée par ce premier séisme.

Par ailleurs, les datations 14C des points d’émergence des ruptures des paléo-séismes suggèrent que le séisme de 1344 a rompu une surface longue de plus de 600 km à l’Ouest de Katmandu, il devait donc s’agir d’un tremblement de terre géant (Mw ≥ 8.6) ; celui de 1255, qui détruisit la ville, a également affecté une immense surface, comme l’attestent des points d’affleurement de la surface rompue au sud de Katmandu et des séismites observées environ 600 km plus à l’Ouest.

Clock Tower (Université du Népal, Katmandu)
A) avant le séisme de 1934 ; B) après le séisme de 1934 ; C) actuellement.

L’étude montre que les différents types de ruptures associées aux tremblements de terre moyens ( 7 Mw), grands (Mw ≥ 8) et géants (Mw > 8,4) sont contrôlés par la géométrie du chevauchement basal et son aptitude à se déformer (rhéologie). Ils sont illustrés par les trois coupes structurales (Fig. 4). Les hypocentres des grands séismes himalayens sont situés sur ce chevauchement. La zone de rupture s’étend depuis la zone où les roches ductiles deviennent cassantes (transition ductile/fragile), jusqu’au front de la chaîne himalayenne où elle peut être observée en tranchée ou à l’affleurement. Les hypocentres de ces séismes sont localisés soit à proximité de la zone bloquée durant les périodes inter-sismiques (la zone bloquée actuelle est reconnue à partir des mesures géodésiques de la déformation régionale pendant la période inter-sismique en cours), soit nettement plus au nord.

Les structures affectées par les grands séismes.
A) Coupe dans l’Est Népal ;
B) coupe dans l’Ouest Népal ;
C) coupe dans le Kumaon (Inde).

La succession des grands tremblements de terre survenus entre 1100 et l’actuel a absorbé la totalité des 20 m de convergence qui s’est produite entre l’Inde et le Tibet durant le dernier millénaire bien que certains grands séismes ne libèrent pas la totalité de l’énergie accumulée élastiquement par la croûte supérieure en une seule fois. Ainsi, dans la zone centrale himalayenne, plusieurs mètres du glissement sismique associé au séisme de 1505 ( 8.1 Mw) correspondent à un relâchement d’une part de l’énergie accumulée avant le séisme de 1255, et non libérée par ce dernier.

Ce relâchement de l’énergie sismique irrégulier, ces glissements et ces temps de retour très variables rendent aléatoires l’application du concept de séisme caractéristique en Himalaya ; en l’état de nos connaissances actuel, il est prudent de considérer que des séismes analogues à celui ayant affecté en 1950 la partie orientale de la chaîne himalayenne avec une magnitude voisine de 8.5 peuvent se produire à tout moment et dans n’importe quelle partie de l’Himalaya central.

Cependant, si cette étude souligne les similarités entre le cycle sismique dans les collisions continentales et les zones de subduction océanique, la segmentation importante qui affecte transversalement la croûte continentale de l’Himalaya pourrait y limiter l’extension latérale des très grandes ruptures. Ainsi les méga-séismes, avec une magnitude voisine de 9, qui caractérisent les subductions océaniques ne se produisent pas nécessairement en Himalaya.

Contacts scientifiques locaux
 Jean-Louis Mugnier, ISTerre-OSUG : jean-louis.mugnier [at] univ-savoie.fr | 04 79 75 86 76
 Pascale Huyghe, ISTerre-OSUG : Pascale.huyghe [at] ujf-grenoble.fr | 04 76 63 59 36
 Francois Jouanne, ISTerre-OSUG : francois.jouanne [at] univ-savoie.fr | 04 79 75 88 87

Cette actualité est également relayée par
 l’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU

Références

  • Mugnier, J.L., Gajurel, A., Huyghe, P., Jouanne F., Upreti, B., 2013, Structural interpretation of the great earthquakes of the last millennium in Central Himalaya, Earth-Science Reviews (EARTH 1902)
    Lire l’article en ligne.
  • Sapkota, S., Bollinger, L., Klinger, Y., Tapponnier, P., Gaudemer, Y., Tiwari, D. 2013. Primary surface ruptures of the great Himalayan earthquakes in 1934 and 1255. Nature Geoscience 6, 71–76, doi:10.1038/ngeo1669.
  • R. Jayangondaperumal, J.L. Mugnier, A. K. Dubey, 2013, "Earthquake slip estimation from the scarpgeometry of Himalayan Frontal Thrust, western Himalaya : Implications for seismic hazard assessment", International Journal of Earth Sciences, manuscript number : IJES-D-12-00254.

Mis à jour le 22 octobre 2013