Métaux, minerais : vers une pénurie de matière première ?

Deux géologues du laboratoire ISTerre se sont récemment intéressés à la question des ressources métalliques et minérales mondiales. Au travers d’une communication dans la revue scientifique Nature Geoscience sur les quantités en ressources minières et minérales nécessaires à la transition vers les énergies renouvelables, ils mettent en évidence le besoin urgent de recherches sur le coût réel des structures de captage (panneaux solaires, éoliennes…). Les chercheurs développent également un point qui prend toute son envergure au moment où le gouvernement évoque la « renaissance » d’une Compagnie nationale des mines en France : l’importance de relancer l’exploration et l’exploitation minière en Europe et en France.

Vue aérienne de la mine d’Aitik en Suède, exploitée par la société Boliden.© Boliden

En novembre 2013 dans la revue scientifique Nature Geoscience, repris sur le site The conversation, Olivier Vidal [1] et Nicholas Arndt [2], géologues au laboratoire ISTerre de Grenoble, en collaboration avec Bruno Goffé [3], préviennent de la nécessité d’optimiser la gestion des ressources minières et minérales mondiales, notamment dans le contexte actuel de transition énergétique. Grâce aux scénarii de transition énergétique publiés par l’Agence Internationale de l’Energie et le WWF qui prévoient les quantités d’électricité générées en utilisant les énergies solaires et éoliennes jusqu’en 2050, les chercheurs ont pu estimer les quantités de matériaux nécessaires pour construire les infrastructures de production. Les chercheurs mettent en évidence le fait que la transition vers les énergies renouvelables engendrera le remplacement d’une ressource non renouvelable (le pétrole) par une autre : les métaux et minerais.

 

Vous avez mis en évidence qu’à capacité de production équivalente, l’exploitation des énergies renouvelables nécessite bien plus de matériaux de bases (béton, aluminium, fer, cuivre…) que les énergies fossiles et nucléaires. Pourquoi vous être intéressés aux énergies renouvelables en particulier parmi tous les secteurs consommateurs de ces matériaux de base ?

Olivier Vidal : Nous essayons de développer des systèmes de plus en plus efficaces où le coût de l’énergie deviendrait concurrentiel par rapport aux combustibles fossiles. Or dans les éoliennes, nous utilisons des aimants permanents, qui nécessitent entre 200 et 600 kg de terres rares [4] par megawatt (MW) de puissance sachant qu’une éolienne classique, c’est 2 MW, et que les nouvelles éoliennes off-shore, c’est 6 MW. Il y a aussi les panneaux solaires où nous passons des panneaux silicium aux panneaux multicouches avec gallium, indium, sélénium et cuivre. Ce sont des technologies en développement qui utilisent des éléments pas très courants. Il me semblait important dans cet article de faire un lien entre énergie et matière première. Nous avons besoin de matière première pour faire de l’énergie, mais nous avons besoin d’énergie pour faire de la matière première. Les deux sont intimement liés et il faut donc associer ces deux choses dans le même débat.

On parle régulièrement des problèmes posés par l’approvisionnement et l’utilisation croissante des terres rares. Pourquoi vous intéressez-vous plus spécifiquement aux métaux de base (cuivre, acier, aluminium…) ?

O.V. : Nous avons travaillé sur les métaux de base parce que ça n’est pas quelque chose qui est regardé habituellement. En général, on considère que les ressources de ce type ne sont pas limitantes. Depuis les années 2000, on observe deux tendances : d’une part l’émergence des BRIC [Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, ndlr] qui sont en train de bâtir leurs infrastructures et qui voient leurs classes moyennes émerger. Ils tirent donc la production des métaux de base (fer, cuivre, aluminium) vers le haut. La Chine consomme actuellement 30% du cuivre et aluminium mondial et 50% du fer mondial. Ma vision personnelle est que les éléments rares, que l’on utilise depuis quinze ans sont dépendants de la technologie utilisée. On en a besoin pour assurer de manière plus performante une fonction qui existait déjà. Faire des aimants permanents avec des terres rares permet d’avoir des aimants beaucoup plus efficaces et de taille beaucoup plus réduite, ce qui en facilite l’utilisation. Mais la fonction existait déjà. Par contre, les éléments de base, eux, sont incontournables. On ne va pas construire une éolienne de 200m de haut en bois ! Il faut aussi prendre conscience que les matériaux utilisés seront séquestrés durant toute la durée de vie de l’éolienne ou du panneau solaire, c’est-à-dire une trentaine d’années. On ne pourra pas le recycler ! Ce que l’on met en évidence, c’est que d’ici 2050, il faudra six ou sept fois la production mondiale d’acier actuelle pour les seuls secteurs des énergies renouvelables. Cela veut dire qu’il va falloir en trouver.

Vous insistez également sur l’importance d’une relocalisation de l’activité minière. Quels sont les arguments en faveur d’une telle démarche ?

Nicholas Arndt : Il ne faut pas négliger la possibilité de produire les métaux en Europe. La notion de la consommation locale, comparable au mouvement ‘locavore’ [5], est aussi importante. Il y a des arguments raisonnables pour éviter de consommer les haricots verts et tomates de l’autre bout du monde et je pense qu’il y a les mêmes arguments concernant les métaux. Quelles sont les alternatives par rapport à importer des métaux d’on ne sait où et où les conditions de travail et environnementales sont inconnues ? Ce sont des arguments pour privilégier des industries locales. Ouvrir des exploitations minières contrôlées en Europe, c’est une façon de générer de l’emploi, de la richesse, mais aussi de limiter les coûts de transports et d’énergie. Il y a beaucoup d’avantages.

Au vu des attentes environnementales et sociales élevées, est-il réellement possible d’ouvrir des mines en France et en Europe ?

N.A. : On peut ouvrir des mines, en respectant les normes sociétales, économiques et environnementales. Ce n’est pas impossible. Dans le nord de la Suède, il existe une mine [la mine d’Aitik, exploitée par la société Boliden, ndlr] exploitant un minerai relativement pauvre de cuivre qui respecte les normes environnementales et où les employés sont payés avec des salaires relativement élevés pour la Suède. Cela montre qu’en Europe, on peut ouvrir et faire fonctionner des mines en respectant toutes les normes européennes, en exploitant aussi la possibilité d’avoir des mines mécanisées et efficaces. J’ai un autre exemple en Autriche d’une mine qui est présente dans un parc national, dont la majeure partie est souterraine. Le broyage et tout ce qui génère de la poussière sont souterrains. On peut passer à 300 mètres de cette mine sans s’en rendre compte !

Qu’est ce qui limite pour le moment la relocalisation de l’extraction minière ?

N.A. : On a fermé toutes les mines car l’industrie était considérée comme dépassée, pas à la mode. Le résultat est qu’il n’y a pas d’exploration, aucune tentative de trouver d’autres gisements. Ce travail a été négligé. Il faut donc recommencer l’exploration de nos terrains. D’autre part, les ouvertures de mines sont très complexes vis-à-vis des sociétés. Il faut bien discuter d’où viennent les métaux et dans quelles conditions ils sont produits actuellement. Il y a besoin de confiance pour l’acceptation de l’ouverture de mines.

Cette problématique des ressources minérales et métalliques semble toucher des considérations scientifiques et industrielles, mais également largement sociétales. Que faut-il faire selon vous pour réussir la transition vers les énergies renouvelables ?

O.V. : A mon humble avis, il faut arrêter de développer des technologies compliquées, même si elles sont plus efficaces. Les gros gisements de métaux rares accessibles et concentrés diminuent et on est obligés de se replier sur des gisements plus difficiles d’accès et moins concentrés ce qui veut dire que l’impact environnemental augmente. Très peu d’études sont faites sur le coût réel de ces technologies, notamment prenant en compte les métaux rares, simplement parce que leur utilisation en masse est trop récente et qu’on n’a pas de retour d’expérience. Il faut rapidement faire ces études : c’est maintenant qu’il faut se pencher sur la question au risque de se tromper de technologie. J’essaye de développer des projets de recherche qui associent à la fois des scientifiques des sciences naturelles, mais aussi des sociologues, des économistes et des spécialistes en technologies, pour essayer d’avoir un inventaire le plus fiable possible des coûts, en euros et en énergie, de l’impact environnemental.

N.A. : Olivier et moi sommes d’accord sur une grande partie du problème : les prix des métaux vont augmenter, il n’y a pas de doutes. Pour satisfaire la demande, je pense qu’il faut que l’exploration continue et pour faire une prospection efficace, il faut de la recherche. Il faut s’investir en Europe comme ailleurs pour la recherche sur l’exploration et l’exploitation des métaux.

 

Contact scientifique local
 Olivier Vidal +33 (0)476635924 olivier.vidal |a| ujf-grenoble.fr
 Nicholas Arndt +33 (0)4 76 63 59 31 nicholas.arndt |a| ujf-grenoble.fr

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Cette actualité est également relayée par
 l’Université Joseph Fourier - UJF
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Référence
Metals for a low-carbon society, Vidal, O., Goffé, B., Arndt N., Nature Geoscience, 2013. lire l’article.
1Institut des Sciences de la Terre (ISTerre), UMR5275, Grenoble, France
2 CEREGE, Aix-Marseille Université, Aix en Provence, France

[1Olivier Vidal est directeur de recherche sous la tutelle du CNRS dans l’équipe ‘Minéralogie et environnements’ du laboratoire ISTerre de Grenoble.

[2Nicholas Arndt est professeur à l’Université Joseph Fourier dans l’équipe « géochimie 4D » du Laboratoire ISTerre

[3Bruno Goffé est directeur de recherche sous la tutelle du CNRS.

[4Les terres rares sont un groupe de 15 métaux possédant des propriétés chimiques et physique voisines qui leur confèrent un intérêt particulier dans de nombreuses applications dans trois principaux domaines des hautes technologies : les télécommunications, les énergies renouvelables et le transport.

[5Le mouvement ’locavore’ prône la consommation de denrées alimentaires produites au niveau local pour des raisons écologiques et sociales.

Mis à jour le 16 mai 2014