Une base de données collaborative pour les traits caractéristiques de plus de 90 000 espèces de plantes à travers le monde livre des résultats étonnants !

Comme tous les organismes vivants, pour survivre et se développer dans un milieu, les plantes doivent tolérer des contraintes environnementales et la compétition qu’elles exercent entre elles. Pour cela, elles développent des caractéristiques morphologiques et physiologiques particulières appelés « traits fonctionnels », tels que la hauteur de la plante, la densité des feuilles et des tiges, la masse des graines…
Deux études publiées le 23 décembre dans la revue Nature, l’une par une équipe internationale dirigée par Irstea Grenoble, l’autre par une équipe internationale incluant notamment des chercheurs du Laboratoire d’écologie alpine (LECA : CNRS / Université Grenoble Alpes / Université Savoie Mont Blanc) analysent les variations des traits fonctionnels végétaux et leurs impacts sur les interactions compétitives à l’échelle globale. Ces travaux ont été rendus possibles par l’existence d’une base de données mondiale collaborative appelée TRY [1], co-coordonnée par S. Lavorel du LECA et gérée à l’Institut Max Planck (Allemagne), qui enregistre les traits fonctionnels végétaux de plus de 90 000 espèces de plantes parmi les 350 000 connues à travers le globe.

Malgré leur diversité, les plantes offrent des combinaisons de caractères étonnamment peu nombreuses !

Bien que l’étude de modèles génériques de spécialisation des plantes soit un sujet de recherche active depuis le début du 20e siècle, il n’existait pas, jusqu’alors, d’analyse à l’échelle globale (phrase pas très claire, à simplifier). Grâce à la base de données TRY, une équipe internationale composée notamment de chercheurs du CNRS et de l’INRA a montré que malgré leur diversité, les plantes offrent des combinaisons de caractères étonnamment peu nombreuses.










Victoria amazonia - Brésil © S. Diaz | Ephémère du désert - Argentine | Araucaria araucana - Argentine | Echinocatus platyacanthus - Oaxaca, Mexique © D.M. Caceres

Si on imagine la grande diversité de plantes comme un nuage de points à six dimensions [2], ce volume apparait particulièrement petit et plat par rapport à l’espace qui serait occupé si tous ces traits variaient indépendamment les uns des autres, de la même façon que la Voie Lactée n’est pas un nuage informe, mais ressemble plutôt à un disque. Les données montrent que les trois quarts de la variation des traits se concentrent dans un « spectre global de forme et de fonction des plantes » autour de deux axes évolutifs majeurs. Un premier axe de ce plan reflète la taille des plantes et de leurs organes. Le second représente la robustesse avec laquelle les feuilles sont construites et les capacités d’acquisition du carbone de la surface foliaire, allant de feuilles fragiles et très productives, à des feuilles plus difficiles à produire, très coriaces et plus résistantes à la sécheresse ou à l’herbivorie.
Certaines combinaisons de traits non viables au regard des lois de la physique, sont absentes de cette constellation : par exemple une très petite plante comme l’arabette des dames ne pourrait pas supporter une noix de coco. En revanche et étonnamment, d’autres combinaisons parfaitement viables sont rares ou absentes. Les scientifiques ont également observé des combinaisons identiques chez des plantes d’origines phylogénétiques différentes. De ce fait, le spectre de formes et de fonctions est occupé de manière très hétérogène : quelques "points chauds" sont encombrés d’espèces présentant des combinaisons de traits similaires, tandis que des "points froids" sont quasiment déserts. « Ces covariations entre traits permettent de distinguer clairement les plantes ligneuses des plantes herbacées, alors qu’elles peuvent occuper les mêmes milieux, précise Hervé Jactel de l’INRA et co-auteur de l’étude. Ceci confirme que le vivant disposent de solutions variées pour résoudre un même problème d’adaptation ».
Outre le fait de pouvoir comparer le fonctionnement d’une espèce particulière à celui de toutes les autres plantes, ce spectre global de forme et de fonction permet une représentation plus réaliste de la diversité des plantes dans les nouveaux modèles globaux de la végétation qui sont utilisés pour prédire les impacts des changements globaux sur les écosystèmes. De plus, une telle base de données devrait aider à mieux comprendre les dimensions écologiques de l’évolution des plantes depuis le passé lointain jusqu’au présent et dans le futur. « Comme la forme et les fonctions des plantes influencent de manière critique les effets de la végétation sur la séquestration du carbone ou sur la fertilité des sols, ces résultats ont des implications fondamentales pour la compréhension du fonctionnement des écosystèmes, dans le présent et dans le futur », souligne Sandra Lavorel, chercheuse CNRS au LECA et co-auteure de l’étude.

Les traits fonctionnels expliquent de manière cohérente la compétition entre espèces d’arbres dans toutes les forêts du globe

Lorsque les arbres sont en compétition pour la lumière, l’eau et les nutriments dans une forêt, leurs caractéristiques morphologiques et physiologiques, appelées traits fonctionnels, déterminent la façon dont ils tirent leur épingle du jeu face à leurs compétiteurs. Et plus particulièrement trois traits fonctionnels déterminent la compétition entre arbres de manière prévisible dans tous les biomes forestiers à travers le monde : la densité du bois, la surface foliaire spécifique (ratio entre surface et unité de masse sèche de la feuille) et la hauteur maximale. Telle est la conclusion de l’étude la plus vaste à ce jour sur la concurrence de l’arbre, publiée par une équipe internationale de chercheurs conduite par Georges Kunstler, chercheur à Irstea Grenoble.

En forêt, les arbres sont en compétition avec leurs voisins pour la lumière, l’eau et les nutriments. Cette compétition conditionne leur croissance et le fonctionnement global des écosystèmes forestiers, tant au niveau de la biodiversité que de la séquestration du carbone. Les forêts sont des éléments essentiels de la biosphère, mais aussi pour les populations humaines, et ce depuis les régions boréales jusqu’aux tropiques. Par conséquent, les écologistes ont longtemps cherché une approche qui permette de prédire la compétition entre arbres pour les dizaines de milliers de différentes espèces présentes à travers le monde.
Une équipe de près de 40 chercheurs a analysé la croissance de 3 millions d’arbres appartenant à 2500 espèces et répartis dans 140 000 placettes forestières à travers le globe. L’analyse de ce jeu de données inédit montre que ces trois traits fonctionnels des espèces, relativement faciles à mesurer, permettent de prédire l’intensité de la compétition entre espèces, c’est-à-dire à quel degré un arbre central est affecté par les arbres voisins et à quel degré il limite leur croissance. Ce résultat est valide sous toutes les latitudes, que la forêt soit tropicale, tempérée ou boréale.
Un résultat intéressant, et surprenant compte tenu des connaissances précédentes sur le fonctionnement des communautés et la niche écologique des espèces, est que la compétition n’est pas forcément diminuée si les espèces sont très différentes du point de vue de leurs traits. Les traits fonctionnels seraient plutôt à l’origine de compromis sur la croissance (“trade-offs” en anglais). Certains se développent rapidement en hauteur, comme les espèces à bois léger (par exemple le bouleau), éclipsant les autres, mais meurent jeunes. D’autres, comme les espèces à bois dense (par exemple le hêtre), se développent plus lentement, mais tolèrent plus la compétition. « C’est la première fois que nous sommes en mesure de vérifier les principaux moteurs de la succession forestière à l’échelle mondiale », explique le premier auteur, Georges Kunstler, d’Irstea Grenoble.

Références
 The global spectrum of plant form and function, par Díaz, S., Kattge, J., Cornelissen, J.H.C., Wright, I.J., Lavorel, S., Dray, S., Reu, B., Kleyer, M., Wirth, C., Prentice, I.C., Garnier, E., Bönisch, G., Westoby, M., Poorter, H., Reich, P.B., Moles, A.T., Dickie, J., Gillison, A.N., Zanne, A.E., Chave, J., Wright, S.J., Sheremet’ev, S.N., Jactel, H., Baraloto, C., Cerabolini, B., Pierce, S., Shipley, B., Kirkup, D., Casanoves, F., Joswig, J.S., Günther, A., Falczuk, V., Rüger, N., Mahecha, M.D. & Gorné, L.D. (2015) publié dans Nature le 23 décembre 2015.
Doi:10.1038/nature16489
 Plant functional traits have globally consistent effects on competition, Georges Kunstler, Daniel Falster, David A. Coomes, Francis Hui, Robert M. Kooyman, Daniel C. Laughlin, Lourens Poorter, Mark Vaderwel, Ghislain Vieilledent, S. Joseph Wright, Masahiro Aiba, Christopher Baraloto, John Caspersen, J. Hans C. Cornelissen, Sylvie Gourlet-Fleury, Marc Hanewinkel, Bruno Herault, Jens Kattge, Hiroko Kurokawa, Yusuke Onoda, Josep Peñuelas, Hendrik Poorter, Maria Uriarte, Sarah Richardson, Paloma Ruiz-Benito
Doi:10.1038/nature16476

Contacts scientifiques locaux
 Georges Kunstler, Irstea Grenoble : 04 76 76 27 61 - georges.kunstler |at| irstea.fr
 Sandra Lavorel, LECA : sandra.lavorel |at| ujf-grenoble.fr

Cette actualité est également relayée par :
 l’Institut de l’Ecologie et de l’Environnement du CNRS (INEE)
 l’Irstea

[2Une dimension par trait, les six traits considérés comme représentatifs de l’ « organisme plante » étant : hauteur de la plante adulte, densité de la tige, taille des feuilles exprimée en surface foliaire, masse foliaire par unité de surface, teneur en azote des feuilles par unité de masse, et masse des éléments reproducteurs.

Mis à jour le 22 janvier 2016