La plateforme tournante Coriolis

Décrypter les courants océaniques et atmosphériques
Dossier paru en septembre 2015 dans la lettre de Grenoble INP.

Coriolis, un équipement unique au monde

Aujourd’hui implantée sur le campus de Saint Martin d’Hères, la plateforme Coriolis du Laboratoire des Ecoulements Géophysiques et Industriels (LEGI) fait partie des équipements européens de pointe. Depuis 2011, elle est impliquée dans le consortium Hydralab, un projet I3 (Infrastructure Integrated Initiative) regroupant une dizaine d’installations dédiées aux études hydrauliques en Europe. Le contrat, qui vient d’être renouvelé, apportera 750 000 euros sur 4 ans au LEGI. La plateforme fait en outre partie du consortium EuHIT qui réunit des infrastructures adaptées pour l’étude de la turbulence. Citons également le contrat ERC (European Research Council) récemment accordé à Nicolas Mordant, professeur à l’Université Joseph Fourier, ainsi que le prix DelDuca de l’Académie des Sciences, qui contribueront à assurer quelques revenus supplémentaires à la plateforme. Enfin, un projet ANR est en cours de préparation avec les sociétés Artelia et EDF.
Une déjà bien belle carrière pour cet instrument qui fut achevé en 2014 sur le modèle d’une ancienne installation construite en 1960 sur la presqu’ile scientifique. Celle-ci avait été financée par EDF dans le but d’étudier l’impact d’une usine marée motrice envisagée dans la baie du Mont Saint Michel. Un modèle réduit de la Manche avait été réalisé pour l’occasion. Extrêmement coûteux et concurrencé par le développement parallèle du nucléaire, le projet fut finalement abandonné. Pas la plateforme, qui reçoit aujourd’hui des dizaines de chercheurs du monde entier venus réaliser leurs expériences, ainsi que des classes entières curieuses de découvrir la force de Coriolis.

Coriolis décrypte les courants océaniques et atmosphériques

Installée au cœur du LEGI, Coriolis est la plus grande plateforme tournante du monde dédiée à l’étude des écoulements géophysiques. Chaque année, des dizaines de chercheurs du monde entier viennent y faire leurs manips, et les industriels commencent à s’intéresser à ce fabuleux instrument.

La plateforme Coriolis du Laboratoire des Ecoulements Industriels et Géophysique (LEGI) est un équipement unique au monde. Avec ces 16 mètres de diamètre et son bassin cylindrique de 13 mètres, elle est la plus grande plateforme tournante dédiée à la mécanique des fluides, achevée en 2014. Une ancienne version de l’installation, construite en 1960, fut pendant 25 ans consacrée à l’étude de l’impact de l’usine marémotrice des Iles Chausey à partir d’un modèle réduit de la Manche au 1/50 000ème. De 1985 à 2011, les chercheurs du monde entier venaient y faire des modélisations d’écoulements géophysiques.

Un outil exceptionnel pour l’étude des écoulements géophysiques

"La plateforme Coriolis est un outil exceptionnel pour modéliser expérimentalement les écoulements atmosphériques et océaniques, lesquels sont des phénomènes majeurs dans la vie de la planète, explique Joël Sommeria, chercheur au LEGI et responsable scientifique de la plateforme. Ses grandes dimensions permettent de minimiser l’influence de la viscosité, reproduisant ainsi les écoulements turbulents tels qu’ils sont dans la nature. La rotation permet en outre d’introduire la force de Coriolis".

En effet, tout élément qui se déplace à la surface d’un système en rotation, subit une force perpendiculaire à sa vitesse de déplacement : vers la droite dans l’hémisphère Nord, et vers la gauche dans l’hémisphère sud. C’est la force de Coriolis. S’il est nécessaire de prendre en compte la rotation de la Terre pour étudier les fluides géophysiques, il faut également tenir compte de deux autres paramètres : la topographie des fonds marins (reproduits au cas par cas grâce à des maquettes en résine) mais aussi les variations de température et de densité de l’eau. Les variations de densité sont obtenues en utilisant de l’eau salée obtenue par un fin mélange de saumure et d’eau douce. "En combinant tous ces effets, il est possible de reproduire un grand nombre de phénomènes naturels, comme l’enroulement des cyclones ou le comportement des MEDDIES, ces lentilles d’eau tourbillonnaires provenant de la Méditerranée qui se forment au niveau de Gibraltar et se déplacent dans l’océan Atlantique sur des milliers de kilomètres, contribuant au transport de chaleur et de nutriments", explique Samuel Viboud, ingénieur d’étude au LEGI et responsable technique de la plateforme.
Pour visualiser ces phénomènes, des techniques de mesure tridimensionnelle en volume par un système de balayage de plan laser ont spécialement été mises au point. "Outre le sel, le fluide placé dans la piscine de la plateforme contient des particules que l’on peut visualiser en les éclairant : un faisceau laser balaye verticalement la masse liquide afin de visualiser les courants dans les trois dimensions, explique Samuel Viboud. Des images numériques sont enregistrées à intervalle de temps réguliers par des caméras situées sur le portique surplombant le bassin. Les mouvements des particules, et donc du fluide, sont alors traduits en vitesse par un traitement informatique".

Des recherches fondamentales et appliquées

Les exemples d’applications ne manquent pas. Cette installation complexe a par exemple permis, en collaboration avec le MIT (Massachusetts Institute of Technology), de modéliser et de reproduire en laboratoire ce qui se passe dans le détroit de Luçon, situé à l’est de la Chine, entre Taïwan et les Philippines. Ce carrefour commercial et militaire très fréquenté est connu pour abriter de nombreux tsunamis internes de grande amplitude, lesquels ne produisent paradoxalement aucun effet en surface.

"Une maquette du relief de la zone a été réalisée avec du polyester et de la résine, les marées générées par deux pistons et la stratification par salage différentiel. L’ensemble est mis en rotation, et… le tsunami apparaît." Comprendre les phénomènes régissant l’apparition de ces tsunamis intéresse l’armée, car ceux-ci rendent les sous-marins invisibles aux radars. Cela concerne également les plateformes pétrolières dont la flottabilité est modifiée par les tsunamis, mais aussi les biologistes car ces mouvements participent aux mélanges des eaux profondes et de surface, permettant au plancton à faible profondeur de se nourrir. Enfin, océanographes et climatologues les étudient car ces effets locaux joueraient un rôle important dans la circulation océanique globale. "Or, les modèles climatiques actuels ne prennent pas bien en compte les effets induits par ces ondes de marées sur la dynamique de l’océan".
Enfin, les industriels commencent à s’intéresser aux possibilités offertes par la plateforme Coriolis. Un projet est en cours avec EDF, Artelia (anciennement Sogreah), et la société Hydroquest qui industrialise, commercialise et installe des hydroliennes fluviales parmi les plus performantes du marché (voir plus bas "effet de parc décodé"). Il pourrait bien faire des émules, et être annonciateur d’une nouvelle carrière pour Coriolis.

Un chantier titanesque

En décembre 2011, la plateforme Coriolis qui avait été construite 50 ans plus tôt sur la presqu’ile scientifique à Grenoble, fut détruite pour permettre l’extension de la ligne de tram B. Les travaux de reconstruction de la plateforme sur le campus ouest ainsi que celle du bâtiment destiné à l’abriter ont été en partie financés par la Metro (2,5 millions d’euros), et le reste sous forme de subventions du Plan campus du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Coût total de l’opération : 6,4 millions d’euros. Après presque trois ans de travaux pilotés par Arnaud Astier, de la Direction du Patrimoine de Grenoble INP, la nouvelle Coriolis a de nouveau été opérationnelle en mai 2014.

Si certaines parties de l’ancienne plateforme ont été conservées, telle la structure supérieure comportant le portique d’instrumentation, les bureaux et plans de travail, l’essentiel a été reconstruit. C’est le cas, par exemple, du système de motorisation de la plaque qui a été totalement repensé. "Un ingénieur a été spécialement embauché pour refaire toutes les pièces mécaniques de façon à rendre l’ensemble plus fiable en réduisant les vibrations, mais aussi plus simple d’utilisation et plus performant, tout en diminuant la maintenance, relate Samuel Viboud, ingénieur CNRS au LEGI et responsable technique de la plateforme. La précision est de rigueur : chaque pied doit par exemple être réglé au 100ème de millimètre près pour que l’axe de rotation soit parfaitement vertical". Au final, la nouvelle plateforme présente une structure en béton armé posée sur un rail circulaire lui-même reposant sur des galets roulants. L’ensemble pèse 350 tonnes en charge pleine, et peut tourner jusqu’à 6 tours par minute.

L’effet de parc décodé

Comment, dans un fleuve ou un site maritime, placer les hydroliennes de façon à ce qu’elles ne se gênent pas les unes les autres, et au contraire, qu’elles soient le plus efficaces possible ? C’est la question abordée par un projet scientifique associant le LEGI, EDF et la société Artelia, utilisant la plate-forme Coriolis comme base expérimentale.

Pour l’aider à optimiser l’agencement de ses hydroliennes dans les fleuves, Hyroquest* s’est tournée vers la société Artelia (anciennement Sogreah) et le LEGI, dans le cadre d’un projet visant à étudier "l’effet de parc". "L’effet de parc, c’est le phénomène de masquage d’une machine située à l’aval prise dans le sillage de celle(s) placée(s) en amont, explique Thierry Maître, chercheur au LEGI. L’objectif du projet est de déterminer expérimentalement l’agencement idéal et la distance optimale entre deux machines sur une même ligne". A partir de savants calculs, les chercheurs ont programmé un logiciel d’optimisation hydromécanique de position, valable aussi bien pour les machines à flux axial que pour celles à flux transverse. "Ce logiciel pourra être complété par des modules de prédiction des efforts et de contrôle de la vitesse de rotation des pales, afin d’obtenir un optimum de puissance tout en évitant l’emballement de la machine". Avant cela, le logiciel devra être validé expérimentalement grâce aux résultats d’essais menés à échelle réduite sur la plateforme Coriolis. Parallèlement, les travaux ambitionnent de lever le voile sur les phénomènes critiques de courants et les effets de turbulence à grande échelle qui font que parfois (trop souvent), les pales des hydroliennes cassent. Les essais seront conduits dans le bassin de Coriolis, aménagé spécialement pour l’occasion en un couloir de 10 mètres de long et de 3 mètres de large, avec une vitesse de courant d’un mètre par seconde. Cette expérience est un bel exemple de diversification de la plateforme et de capitalisation du savoir-faire de l’équipe.

*Hydroquest est l’une des 17 startup soutenues par la filiale de valorisation de Grenoble INP, INPG Entreprise SA.

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Mis à jour le 8 juillet 2021