Les activités humaines sont le principal facteur de l’érosion des sols dans les Alpes depuis 3800 ans

Figure 3 - Barge de carottage du CNRS (DT-INSU, CCF) utilisé sur le lac du Bourget en 2018 et 2019 afin de carotter les sédiments accumulés dans le fond du lac depuis 10000 ans. Source : William RAPUC
A l’heure où l’érosion des sols menace nos sociétés en impactant la biodiversité, le stockage de CO2 ainsi que les capacités de production alimentaire, il est fondamental d’en étudier et d’en quantifier les causes principales que sont le climat et les activités humaines. À cause de leurs caractères imbriqués, quantifier les rôles respectifs de ces deux facteurs sur l’érosion n’avait jusqu’à présent jamais été réalisé. En étudiant les sédiments du lac du Bourget, qui présente le plus grand bassin versant des Alpes françaises, une équipe de recherche française, impliquant le laboratoire Edytem [1], a pu déterminer que les effets des activités humaines (en particulier l’agriculture et le pastoralisme) ont largement dépassé les effets du climat sur l’érosion et ce depuis plus de 3800 ans, transformant durablement le fonctionnement des paysages alpins. Ces résultats sont publiés dans Nature communications.

Figure 1 – Pastoralisme dans les Alpes. Source : Julia Garagnon
L’une des principales caractéristiques de l’Anthropocène est l’augmentation drastique de l’érosion des sols à l’échelle mondiale. L’érosion des sols, et donc de la Zone Critique, menace l’habitabilité de la Terre car nos sociétés dépendent de cette ressource. Cependant, distinguer l’impact des activités humaines sur l’érosion (Fig. 1) de celui des facteurs climatiques est une tâche complexe, ce qui explique que l’effet des activités humaines sur l’érosion au cours des derniers millénaires est resté jusqu’ici mal quantifié.

Cela est particulièrement crucial dans les zones montagneuses, où les taux d’érosion les plus élevés sont enregistrés. Le bassin versant du lac du Bourget, l’un des plus grands des Alpes européennes, est utilisé dans cette étude pour estimer quantitativement l’impact des activités humaines sur l’érosion. Sur la base de l’étude d’une carotte de sédiment de lac (prélevée grâce à la plateforme de carottage visible en Fig. 3), et en utilisant la géochimie isotopique via une approche « source-puits », il est établi que les effets des activités humaines sur l’érosion l’emportent sur ceux du climat depuis plus de 3800 ans.

Par ailleurs, l’analyse et l’agrégation des reconstructions paléo-environnementales régionales permettent de montrer que parmi toutes les activités humaines, le développement du pastoralisme en haute altitude à partir de l’âge du Bronze, et l’extension de l’agriculture à partir du Moyen Âge, ont été les deux moments clés de l’augmentation drastique de l’érosion observée dans les Alpes (Fig. 2).

Cette étude démontre aussi que même des activités agro-pastorales de faibles envergures comme celles de l’âge du Bronze ont pu avoir un effet direct et majeur sur l’érodabilité des sols. Développer des approches quantitatives similaires sur d’autres terrains de recherche permettrait de mieux évaluer l’ampleur spatiale de l’impact des activités humaines sur les sols et d’en affiner la temporalité. De telles études sont indispensables pour tester l’hypothèse d’un impact précoce à grande échelle des activités humaines sur l’environnement, remettant ainsi en question l’hypothèse selon laquelle l’Anthropocène commencerait avec la révolution industrielle.

Figure 2 – Schéma détaillant les étapes d’analyses et les principaux résultats. Les données obtenues sur la séquence sédimentaire et les échantillons de sédiments du bassin-versant (A) ont permis de quantifier l’érosion (B) de la partie non-englacée du bassin-versant (où les activités humaines et le climat impactent l’érosion au cours du temps) et celle (C) de la partie englacée du bassin versant (influencé uniquement par le climat). A partir de ces deux signaux, (D) l’effet des activités humaines sur l’érosion a pu être quantifié au cours des 10000 dernières années et (E) le type d’activités responsable a pu être mis en évidence. Source : William RAPUC.


Référence

Rapuc, W., Giguet-Covex, C., Bouchez, J., Sabatier, P., Gaillardet, J., Jacq, K., Genuite, K., Poulenard, J., Messager, E., Arnaud, F., 2024. Human-triggered magnification of erosion rates in European Alps since the Bronze Age. Nature communications, publié le 10 février 2023. https://doi.org/10.1038/s41467-024-45123-3

Contact scientifique local

 William Rapuc, Chercheur CNRS au laboratoire EDYTEM

Cet article a été publié par le CNRS-INEE.

[1Laboratoires CNRS impliqués :
 De la Préhistoire à l’Actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA, CNRS/Ministère de la culture/Univ. de Bordeaux)
 Environnement dynamique et territoires de montagne (EDYTEM, CNRS / Univ. Savoie Mont Blanc), un laboratoire membre de la fédération OSUG
 Laboratoire Commun spectroscopie en phase solide pour le diagnostic environnemental (SpecSolE, Envisol – CNRS/Univ. Savoie Mont Blanc
 UMR Institut de physique du globe de Paris (IPGP-UMR, CNRS /Inst. physique du globe de Paris/Univ. Paris Cité)

Mis à jour le 11 mars 2024