La jeune géante qui s’est fait une place au soleil

Alerte presse publiée par le CNRS le 20 juin 2016

Depuis 20 ans, les exoplanètes qu’on nomme « Jupiters chauds » défient les astronomes. Ces planètes géantes orbitent 100 fois plus près de leur étoile que Jupiter autour du Soleil, et sont donc réchauffées par cette proximité. Mais comment et quand dans leur histoire migrent-elles si près de leur étoile ? Une équipe internationale d’astronomes vient d’annoncer la découverte d’un très jeune Jupiter chaud au voisinage immédiat d’un soleil d’à peine 2 millions d’années – l’équivalent stellaire d’un nourrisson d’une semaine. Cette toute première preuve que les Jupiters chauds apparaissent dès les origines constitue un progrès majeur dans notre compréhension de la formation et de l’évolution des systèmes planétaires. Les travaux, dirigés par des chercheurs de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP : CNRS/Université Toulouse III) [1], en collaboration, entre autres [2], avec des collègues de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG : CNRS/Université Grenoble Alpes) [3], sont publiés le 20 juin 2016 dans la revue Nature.

C’est en scrutant une étoile d’à peine 2 millions d’années, baptisée V830 Tau, qu’une équipe internationale d’astronomes a découvert le plus jeune Jupiter chaud. Après un mois et demi d’observations au cœur de la pouponnière stellaire du Taureau, à 430 années-lumière de la Terre, l’équipe a détecté une variation régulière de la vitesse de l’étoile, révélant la présence d’une planète presque aussi massive que Jupiter, sur une orbite 20 fois plus resserrée que celle de la Terre autour du Soleil. Cette découverte prouve pour la première fois que les Jupiters chauds apparaissent très tôt lors de la phase de formation des systèmes planétaires, et ont donc un impact majeur sur l’architecture de ces derniers.

Vue d’artiste d’une jeune planète géante
à proximité immédiate d’une étoile en formation. © Mark Garlick / markgarlick.com.

Dans le système solaire, les petites planètes rocheuses comme la Terre orbitent près du Soleil alors que les géantes gazeuses comme Jupiter et Saturne patrouillent bien plus loin. D’où l’étonnement de la communauté quand les premières exoplanètes détectées se sont révélées des géantes côtoyant leur étoile. Les travaux théoriques nous apprennent que ces planètes ne peuvent se former que dans les confins glacés du disque protoplanétaire donnant naissance à l’étoile centrale et à son cortège de planètes. Certaines d’entre elles migrent vers l’étoile sans y tomber, devenant dès lors des Jupiters chauds.

Les modèles théoriques prédisent une migration soit dans l’enfance des géantes gazeuses, alors qu’elles se nourrissent encore au sein du disque primordial, soit bien plus tard, lorsque les nombreuses planètes formées interagissent et propulsent certaines d’entre elles au voisinage immédiat de l’étoile. Parmi les Jupiters chauds connus, certains possèdent justement une orbite inclinée, voire inversée, suggérant qu’ils ont été précipités vers l’étoile par d’ombrageuses voisines. Cette découverte d’un Jupiter chaud très jeune confirme donc que la migration précoce au sein du disque est bien, elle aussi, opérationnelle dans le cas des planètes géantes.

Détecter des planètes autour d’étoiles très jeunes s’avère un vrai défi observationnel, car ces étoiles se révèlent être des monstres en comparaison de notre Soleil : leur intense activité magnétique perturbe en effet la lumière émise par l’étoile d’une façon bien plus marquée que ne peut le faire une éventuelle planète géante, même en orbite rapprochée. L’une des prouesses de l’équipe a été de séparer le signal dû à l’activité de l’étoile de celui engendré par la planète.

Pour cette découverte, l’équipe a utilisé les spectropolarimètres [4] jumeaux ESPaDOnS et Narval, conçus et construits à l’IRAP. ESPaDOnS est installé au télescope Canada-France-Hawaï (TCFH), au sommet du Maunakea, un volcan endormi de la grande île de l’archipel d’Hawaï. Narval est monté quant à lui au télescope Bernard Lyot (TBL - OMP) au sommet du Pic du Midi. L’utilisation combinée de ces deux télescopes et du télescope Gemini d’Hawaï s’est avérée essentielle pour obtenir la continuité requise dans le suivi de V830 Tau. Avec SPIRou et SPIP, les spectropolarimètres infrarouge de nouvelle génération construits à l’IRAP pour le TCFH et le TBL, et dont la mise en service est prévue en 2017 et 2019, les performances seront largement améliorées, ce qui nous permettra d’étudier avec une sensibilité encore accrue la formation des nouveaux mondes.

Le plus jeune Jupiter chaud connu aujourd’hui
détecté autour de l’étoile en formation V830 Tau, évolue dans la toile magnétique de l’étoile (lignes blanches et bleue), ce qui complique la découverte de telles planètes. © Jean-François Donati.

Des animations sont disponibles (crédit : Jean-François Donati) :
 l’étoile en formation V830 Tau et son champ magnétique ;
 les distorsions du spectre lumineux induites par l’activité de l’étoile (flèche bleue) et par sa planète (flèche verte). La flèche rouge montre les deux effets combinés. L’effet est amplifié d’un facteur 20.

Source
A hot Jupiter orbiting a 2-million-year-old solar-mass T Tauri star, JF Donati, C Moutou, L Malo, C Baruteau, L Yu, E Hébrard, G Hussain, S Alencar, F Ménard, J Bouvier, P Petit, M Takami, R Doyon, A Collier Cameron. Nature, 20 juin 2016. DOI : 10.1038/nature18305

Contact scientifique local
 Jérome Bouvier, IPAG/OSUG : jerome.bouvier (at) univ-grenoble-alpes.fr
communiqué
au format PDF

Cette actualité est également relayée par
 l’université Grenoble Alpes (UGA)
 l’Institut polytechnique de Grenoble (Grenoble INP)


Notes
1. Ce laboratoire fait partie de l’Observatoire Midi-Pyrénées (OMP).
2. Les autres organismes ayant contribué à ces travaux sont : CFHT corporation, l’Université de York (Toronto, Canada), l’ESO, l’Université fédérale du Minas Gerais (Brésil), l’Academia sinica (Taïwan), l’Université de Montréal (Canada) et l’Université de St Andrews (Royaume-Uni).
3. Ce laboratoire fait partie de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Grenoble.
4. En astronomie, un spectropolarimètre sert à mesurer le champ magnétique des étoiles.

Mis à jour le 8 septembre 2016