Le bruit sismique utilisé pour la première fois pour “imager” des structures profondes du manteau terrestre

Dans un article paru le 23 novembre dans la revue Science, des sismologues de l’ISTerre localisent les limites de la zone de transition séparant manteau supérieur et manteau inférieur en utilisant pour la première fois les ondes de volume issues du bruit de fond sismique. Ils font ainsi la preuve qu’il est possible de s’abstraire des ondes émises par les séismes pour cartographier localement des structures profondes du manteau terrestre. Cette nouvelle méthode présente l’avantage par rapport à l’utilisation des ondes émises par les
tremblements de terre de pouvoir être mise en œuvre à tout moment indépendamment de tout séisme en limitant les risques d’erreurs.

Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, les sismologues s’intéressent au bruit sismique généré par la houle océanique et qui se propage dans le sol et la Terre. Comme les ondes sismiques émises par les tremblements de terre, le bruit sismique est fait d’ondes de différentes natures. Il y a notamment des ondes de surface qui se propagent, comme leur nom l’indique, plutôt en surface et des ondes de volume qui traversent la Terre. En se propageant, les ondes sismiques peuvent être accélérées ou ralenties selon les propriétés du milieu plus ou moins chaud, plus ou moins dense qu’elles traversent. C’est cette propriété qui sert à cartographier, « imager », l’intérieur de la Terre. On appelle les images obtenues des tomographies.

Depuis les années soixante dix, ce sont principalement les ondes émises par les tremblements de terre, mais aussi celles générées par des explosions, qui ont été utilisées pour obtenir les tomographies de l’intérieur de la Terre et préciser la structure du globe. Mais depuis 2005 des sismologues de Grenoble ont fait la démonstration que l’on pouvait également obtenir des tomographies de la couche superficielle de la Terre, la lithosphère, à partir du bruit sismique. Il suffit alors de placer un réseau local de capteurs sismiques sur la zone à étudier et d’analyser les signaux reçus par une technique appropriée pour isoler ceux qui sont porteurs d’une information concernant la nature des roches traversées. Cette méthode est maintenant assez largement utilisée pour étudier localement la structure de la lithosphère.

(A) Modèle de Terre dans lequel le bruit est généré par des sources océaniques (étoiles) et se propage partiellement sous forme d’ondes de volume (pointillé bleu) jusqu’aux capteurs sismiques (polygônes bleus). A droite les ondes de volumes (pointillé rouge) sont réfléchies par les discontinuités à 410 et 660 km.
(B) Carte du réseau de capteurs sismiques au nord de la Finlande.
(C) En haut les données du bruit sismique mis en corrélation, en bas les sismogrammes calculés, on note la bonne coïncidence entre les deux.

Les sismologues de Grenoble viennent de franchir une nouvelle étape en utilisant, non plus les ondes de surface, mais les ondes de volume du bruit sismique qui pénètrent la Terre en profondeur. Ils ont pu ainsi pour la première fois, grâce à une expérience réalisée entre janvier et décembre 2008, caractériser la « zone de transition » située entre 410 et 660 km de profondeur à l’aplomb de la Finlande.

La zone de transition est une couche importante du manteau, elle sépare le manteau supérieur du manteau inférieur et des changements de phases minéralogiques importants s’y produisent qui augmentent rapidement la vitesse de propagation des ondes sismiques. La zone de transition a un impact sur la dynamique terrestre considérable car elle freine les plaques en subduction qui tentent de pénétrer dans le manteau inférieur, tout comme elle freine les panaches ascendants venant du manteau profond. Elle n’est pas encore cartographiée avec une grande précision par les méthodes habituelles.

Pour cette étude, 42 stations sismologiques ont été déployées sur la zone étudiée. Des stations large bande de réseaux permanents ont été utilisées en complément. Après avoir extrait du signal les ondes renvoyées par la discontinuité qui sépare croûte et manteau (le MOHO), les auteurs ont analysé le signal reçu verticalement à chaque station entre 0,1 à 0,5 hertz, ils ont pu en extraire les réflexions dues aux limites supérieures et inférieures de la zone de transition. Il apparaît d’après cette étude que sous la région étudiée, la limite supérieure de la zone de transition est épaisse de 15 km et se situe entre 405 et 420 km, sa limite inférieure est plus mince, elle est de 4km entre 650 et 654 km de profondeur.

La preuve est ainsi faite qu’il est possible d’imager des structures profondes du manteau à partir du bruit sismique. La méthode présente l’avantage par rapport l’utilisation des ondes émises par les tremblements de terre de pouvoir être mise en œuvre à tout moment indépendamment de tout séisme et de palier l’inconvénient lié précisément à l’erreur, jamais nulle, de localisation de la source sismique.

Contacts scientifiques
 Piero Poli, ISTerre-OSUG : polip @ ujf-grenoble.fr, 04 76 63 51 63

 Michel Campillo, ISTerre-OSUG : michel.campillo @ obs.ujf-grenoble.fr, 04 76 63 52 00

 Helle Pedersen, ISTerre-OSUG : helle.pedersen @ obs.ujf-grenoble.fr, 04 76 63 52 00

Référence
Body wave imaging of the Earth’s mantle discontinuities from ambient seismic noise, P. Poli1, M. Campillo1, H. Pedersen1, Lapnet Working Group, Science, 23 novembre 2012.
1 Institut des Sciences de la Terre, Grenoble

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Mis à jour le 29 novembre 2012