L’impact des El Niño extrêmes sur le transport sédimentaire dans les Andes péruviennes occidentales

Les Andes © Benjamin Pender / Flickr
Une équipe franco-péruvienne, comprenant des chercheurs de l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE/OSUG, CNRS / IRD / UGA / INPG), du laboratoire Géosciences Rennes (Géosciences Rennes/OSUR, CNRDS / Université Rennes 1) et du laboratoire Géosciences environnement Toulouse (GET/OMP, UPS / CNRS / IRD / CNES / BRGM), vient de montrer que l’érosion des Andes occidentales proches de l’Équateur est induite, pour l’essentiel, par les événements El Niño extrêmes. Dans ce contexte, quel sera l’impact du changement climatique ? La question est à l’étude.

Le climat est l’un des facteurs majeurs qui contrôlent le transport des sédiments continentaux par les rivières. La variabilité spatio-temporelle des pluies est l’une des caractéristiques majeures du climat dont l’impact - en termes d’érosion et de transfert des sédiments - reste à élucider. Dans un contexte de réchauffement climatique, documenter l’efficacité du transport de sédiments dans différents contextes climatiques représente un enjeu scientifique et sociétal majeur. En effet, ceci permet d’envisager l’impact de modifications climatiques sur l’évolution future des flux de matière globaux. Sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, la chaîne des Andes est une zone d’étude clé car elle présente l’une des plus grandes variétés de conditions climatiques à l’échelle mondiale. Cette variabilité climatique se traduit notamment par de forts gradients de précipitations le long de la côte, du nord au sud, et par une modulation temporelle pluriannuelle associée à l’ENSO (El Niño Southern Oscillation). Ainsi, les Andes permettent d’étudier aussi bien la sensibilité des flux sédimentaires et de l’érosion à la distribution spatiale des précipitations que l’impact de changements climatiques, ici induit par El Niño.

Grâce à l’élaboration d’un jeu de données original de la production de sédiments en suspension (Suspended Sediment Yield - SSY) au Pérou (1968-2012), une équipe franco-péruvienne de chercheurs montre que la SSY annuelle des bassins versants côtiers du Pérou augmente de 3 à 60 fois, selon la latitude, pendant les événements El Niño extrêmes (Extreme El Niño Events - EENE) comparativement aux années normales. Il en résulte que l’essentiel de l’érosion des Andes occidentales proches de l’Équateur est induit par les événements El Niño. Ce résultat, publié en septembre 2017 dans Scientific Reports (Nature), illustre l’influence des événements climatiques extrêmes qui modulent le transport des sédiments et influencent l’évolution du paysage dans cette région du monde, parfois de façon catastrophique. L’étude de l’impact d’El Niño sur la production sédimentaire à l’exutoire des bassins andins occidentaux peut donc aider à décrypter les caractéristiques pluviométriques qui contrôlent la tendance à court et à long terme des flux de sédiments.

Données sur la production des sédiments en suspension (SSY) le long des Andes. Les cercles indiquent l’emplacement des stations hydro-sédimentologiques et leur taille est proportionnelle à la SSY. Les cercles rouges et gris représentent respectivement les données de cette étude et de la littérature. La ligne pointillée noire sépare les bassins versants du Pacifique et de l’Atlantique. À droite : la localisation des 20 bassins hydrographiques étudiés (d’une superficie de 638 à 16 949 km2)
Qu’en est-il des événements futurs ?

Bien que les zones de haute montagne (au-dessus de 1000 m), qui drainent à l’ouest des Andes, ne couvrent que 7 % du territoire péruvien, celles-ci fournissent de l’eau douce à 64 % des 31 millions d’habitants. Pour tirer parti de cette ressource naturelle, les gouvernements nationaux successifs ont investi des milliards de dollars dans la construction de huit systèmes hydrauliques polyvalents le long de la côte péruvienne. Mais la forte charge de sédiments en suspension qui se produit pendant les EENE met en danger les infrastructures et la disponibilité de l’eau, ce qui intensifie les conflits locaux pour l’accès à l’eau et affecte les écosystèmes aquatiques. Cette situation est d’autant plus critique que certaines études suggèrent que la récurrence et la gravité des EENE augmenteront au fur et à mesure du réchauffement planétaire.

Il n’y a pas eu d’EENE depuis août 1998. Depuis près de deux décennies (1998-2015), des sédiments provenant de l’amont des bassins versants se sont donc déposés sur les rives des cours d’eau et le long des pentes des collines. Par conséquent, le prochain EENE pourrait transporter plus de sédiments que les deux derniers EENE. Un réseau de surveillance hydro-sédimentologique a donc été mis en place dans le nord-ouest du Pérou pour évaluer la charge totale de sédiments lors d’inondations extrêmes et EENE. Les travaux futurs se concentreront sur l’influence des sédiments en suspension et des fonds de lits de rivières sur la charge totale des sédiments pendant les inondations et les EENE.


Source

Sergio B. Morera, Thomas Condom, Alain Crave, Philippe Steer & Jean L. Guyot, The impact of extreme El Niño events on modern sediment transport along the western Peruvian Andes (1968–2012), Scientific Reports 7, Article number : 11947 (2017)
doi:10.1038/s41598-017-12220-x

Contacts scientifiques

 Alain Crave, Géosciences Rennes/OSUR, alain.crave[at]univ-rennes1.fr, 02 23 23 30 39
 Thomas Condom (local), IGE/OSUG, thomas.condom[at]univ-grenoble-alpes.fr, 04 76 51 49 36

Cette actualité est également relayée par

 l’institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)

Mis à jour le 18 juillet 2018