Les Alpes, une cuisine naturelle idéale pour étudier la géochimie du soufre

Arête de neige de l’aiguille du Goûter, dans le massif du Mont-Blanc. © Bruno JOURDAIN/LGGE/CNRS Photothèque
La Nappe des Gypses est une formation salifère âgée de 228 à 216 millions d’années et présente dans l’ensemble de la chaîne alpine. Par sa nature physico-chimique particulière et sa rhéologie1 , cette unité joue un rôle important dans la localisation de la déformation dans les Alpes. Malgré son importance, la nature et la géochimie de la Nappe des Gypses ont très peu été étudiées. Une équipe de scientifiques français s’est attelée pour la première fois à démêler la nature des fluides géologiques qui ont été générés durant l’histoire de cette formation.

Grâce à l’analyse des minéraux qui les accompagnent, cette équipe a pu montrer que des sels ont été enfouis jusqu’à 60 km de profondeur, entre 55 et 40 millions d’années à la faveur de la subduction continentale de la plaque européenne. La formation a été ainsi chauffée jusqu’à 430°C et a subi une pression de plus de 16 000 fois la pression atmosphérique. Cette conjoncture exceptionnelle permis de mettre en marche une chimie du soufre tout à fait particulière. Le gypse (sulfate de calcium hydraté) qui compose la Nappe des Gypses a été déshydraté en anhydrite, libérant de grandes quantités d’eau. En présence de méthane, ces conditions pression-température ont déclenché la réaction de Thermo-Réduction des Sulfates (TSR) qui a transformé une partie des sulfates en hydrogène sulfuré. Les scientifiques ont pu déterminer les circonstances de cette réaction en observant des inclusions fluides2 . Ils ont ainsi mis en évidence, pour la première fois dans la nature, la présence de nouvelles espèces du soufre comme l’ion S3- ou encore les polysulfures. Alors que ces espèces n’avaient été observées qu’en laboratoire auparavant, cette étude a donc permis de valider leur importance dans le cycle du soufre naturel.

Les scientifiques ont également voulu savoir comment traquer ce processus et ces espèces particulières du soufre dans d’autres contextes géologiques. Pour ce faire ils ont analysé les isotopes du soufre des minéraux qui se sont formés grâce à la TSR (pyrite et soufre élémentaire notamment). Ils ont ainsi pu montrer que chaque espèce avait une signature isotopique particulière qui permet de retracer précisément l’origine du soufre et le devenir des différents produits de la réaction. Cette étude à grande échelle a ainsi permis de mieux comprendre le rôle dans le cycle du soufre de ce processus majeur qu’est la TSR, puisqu’il permet d’expliquer la formation de gisements métallifères ou de gisements pétroliers très riches en soufre partout à travers le globe.

La réaction qui a œuvré dans la Nappe des Gypses : l’anhydrite en blanc a réagi avec du méthane pour former de l’hydrogène sulfuré (H2S), des carbonates à partir du CO2 (gris) et du soufre natif (jaune© Georessources

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Laboratoires impliqués :

Laboratoire GeoRessources (Nancy) en collaboration avec des chercheur.es de l’Institut des sciences de la Terre (ISTerre / OSUG), de l’Insitut de Physique du Globe de Paris (IPGP) et le laboratoire Géosciences Le Mans.

Références

BARRÉ G., TRUCHE L., BAZARKINA E. F., MICHELS R., DUBESSY J. (2017)First evidence of the trisulfur radical ion S3- and other sulfur polymers in natural fluid inclusions. Chemical Geology, 462, 1-14.

BARRÉ G., STRZERZYNSKI P., MICHELS R., GUILLOT S., CARTIGNY P., THOMASSOT E., LORGEOUX C., ASSAYAG N. TRUCHE L. (2020). Tectono-metamorphic evolution of an evaporitic décollement as recorded by mineral and fluid geochemistry : the “Nappe des Gypses” (Western Alps) case study. Lithos 358-359,

BARRÉ G., THOMASSOT E., MICHELS R., CARTIGNY P., STRZERZYNSKI P., TRUCHE L. (2021). Multiple sulfur isotopes signature of Thermochemical Sulfate Reduction (TSR) : Insights from Alpine Triassic evaporites. EPSL 576, 117231.

Contact scientifique

 Laurent Truche, Enseignant-Chercheur UGA à ISTerre / OSUG

Article initialement publié par l’INSU.

Mis à jour le 7 octobre 2022