Écoute sismique d’une crue dévastatrice provoquée par la vidange soudaine d’un lac glaciaire

© Kristen Cook
Une équipe internationale, impliquant des chercheurs français de l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE/OSUG, Université Grenoble Alpes/IRD/CNRS/Grenoble INP), a étudié un événement de crue particulièrement dévastateur, causé par la vidange soudaine d’un lac pro-glaciaire dans la vallée du Bhotekoshi/Sunkoshi, au Népal. A partir d’une technique d’observation particulièrement innovante basée sur l’analyse sismique des vibrations du sol, les auteurs apportent des contraintes observationnelles sans précèdent sur la physique de ce type de crues et leurs impacts sur l’érosion des hautes vallées Himalayennes.

Le 5 Juillet 2016, une vague d’eau d’une dizaine de mètres de haut dévalait les pentes abruptes de la vallée du Bhotekoshi/Sunkoshi, au Népal. Cette vague provenait d’un lac de haute montagne jusqu’alors bloqué par une moraine pro-glaciaire qui, après rupture soudaine, libera d’un seul coup plus de 100 000 tonnes d’eau vers l’aval, l’équivalent du poids de la tour Montparnasse. Une équipe internationale de scientifiques allemands (GFZ Potsdam), français (IGE Grenoble) et népalais (Tribhuvan University, Katmandou) ont étudié cet événement dévastateur à partir d’une technique d’observation particulièrement innovante, basée sur l’analyse des vibrations du sol enregistrées par des sismomètres qui avaient été déployés un an auparavant suite au séisme de Gorkha (avril 2015).

Dans une étude parue dans Science, les auteurs montrent que ces événements de crues générées par la vidange de lacs, rares mais particulièrement extrêmes, ont un impact majeur sur l’érosion à long terme des vallées de montagnes. En effet, ces masses inhabituelles d’eau sont les seules permettant de mobiliser et transporter les plus gros rochers présents dans la rivière, lesquels protègent ordinairement son lit et limitent son érosion. Cette découverte remet en cause la vision commune selon laquelle les précipitations de mousson seraient le forçage principal de l’érosion des vallées de montagnes. Ainsi, d’autres forçages contrôlant la formation et l’évolution des lacs glaciaires, tels que les séismes et la dynamique glaciaire résultant des changement climatiques, pourraient jouer un rôle primordial dans l’érosion fluviale et donc dans l’évolution des vallées de ces régions.

À gauche : Vue de la rivière Bhotekoshi en octobre 2015, avant le GLOF de 2016, aval de la plate-forme d’observation de Tatopani. À droite : Vue de la rivière Bhotekoshi en novembre 2016, après le GLOF de 2016, aval de la plate-forme d’observation de Tatopani. © Kristen Cook

Kristen Cook, chercheur au GFZ Potsdam, a visité la vallée avant et après la crue, et décrit les circonstances spécifiques de cet événement. « La crue a eu lieu en fin de journée, quand les habitants étaient encore éveillés. Elle a généré des vibrations du sol si fortes qu’elles ont pu être ressenties par la population avant l’arrivée de la vague ». Deux résidents locaux ayant sentis la crue approcher lui racontèrent les faits : le plus jeune crut à un séisme, mais son ainé se rappela de la crue de 1981, et s’empressa de s’éloigner de la rivière, suivi par les autres habitants. Il n’y eu aucun blessé, mais beaucoup d’infrastructures furent détruites, principalement des habitations, des ponts, des barrages hydro-électriques et des routes. Pour les scientifiques ayant déployé des sismomètres dans la vallée juste avant la crue, cet événement représente une opportunité rare d’observation.

En haut à gauche : Dégâts du GLOF à la frontière népalaise. Les dommages causés aux bâtiments du gouvernement chinois sont visibles sur le côté droit du fleuve, tandis que la route coupée menant au pont de l’amitié népalo-chinoise est visible est visible sur le côté gauche. En haut à droite : Le GLOF a causé de graves dommages au barrage hydroélectrique de la partie supérieure de la vallée de Bhotekoshi. En bas à gauche : Un important glissement de terrain mobilisé par le GLOF a détruit de nombreux bâtiments et l’autoroute Araniko, qui longe la vallée de Bhotekoshi. En bas à droite : L’érosion provoquée par le GLOF a provoqué l’effondrement de nombreux bâtiments à Kodari et en a laissé d’autres précaires perchés au-dessus du fleuve. © Kristen Cook

"Avec ce réseau sismique, nous avons pu observer non pas une vague, mais deux !", fait remarquer Florent Gimbert, chercheur à l’IGE Grenoble. La première vague, constituée principalement d’eau, se propagea à une vitesse ahurissante de 30 km/h, 10 fois plus vite qu’un écoulement normal dans ce type de rivières. La deuxième, chargée de nombreux rochers et sédiments grossiers mélangés à l’eau, se propagea plus lentement, mais à 18 km/h tout de même. « Cette deuxième vague fut la plus énergétique. Comparativement à la première, c’est elle qui a dû jouer un rôle prépondérant dans la déstabilisation du lit et des berges de la rivière ». A partir de ces observations sismiques, les chercheurs montrent aussi que le transport sédimentaire dans la rivière est resté anormalement fort (jusqu’à 30 fois plus fort que la normale) durant plusieurs semaines après la crue. Cette recrudescence de transport matérialise une dynamique hors équilibre qui montre que les rivières gardent en mémoire les événements extrêmes passés. Cette composante devra être prise en compte dans les modèles d’érosion. Aux vues des apports uniques de la sismologie pour étudier ces phénomènes, un nouveau projet nommé SEISMORIV, porté par Florent Gimbert, a été financé par l’Agence National de la Recherche. Il vise à mieux comprendre le signal sismique généré par les évènements de crues extrêmes, de manière à mieux évaluer leurs impacts dans le contexte du réchauffement climatique.

Compilation de photos et de sons sismiques dérivés du GLOF. Crédits indiqués dans la vidéo

Source

Cook KL, Andermann C, Gimbert F, Adhikari BR, Hovius N (2018) Glacial lake outburst floods as drivers of fluvial erosion in the Himalaya, Science. doi : 10.1126/science.aat4981.

Contact scientifique local

 Florent Gimbert, IGE/OSUG | florent.gimbert univ-grenoble-alpes.fr | 04 76 82 42 11

Cette actualité a été publiée par le CNRS-INSU.

Mis à jour le 7 décembre 2018