Les propriétés physiques de la neige peuvent fortement affecter la dynamique de population des lemmings dans l’Arctique

Lemming à l’Île Bylot. © Mathilde Poirier
Une étude réalisée dans l’arctique canadien par une équipe franco-canadienne, parmi laquelle des chercheurs du Centre d’études de la neige (CEN/OSUG - Météo-France/CNRS) [1], vient de révéler que les propriétés physiques de la neige pouvaient fortement influencer la dynamique de population des lemmings, petits rongeurs situés à la base de la chaine alimentaire arctique terrestre. En particulier, les évènements de pluie sur neige à l’automne forment des couches dures à la base du manteau neigeux, qui limitent les déplacements des lemmings, leur accès à la nourriture et leur reproduction. Avec le réchauffement climatique, ces évènements de pluie sur neige seront plus fréquents, ce qui aura probablement un impact sur les populations de lemmings et l’ensemble de l’écosystème arctique terrestre.
Les lemmings, petits rongeurs de l’Arctique, sont à la base de la chaine alimentaire arctique terrestre. Ils vivent et se reproduisent sous la neige 8 à 10 mois de l’année et sont des proies de choix pour les renards polaires, les hermines, les harfangs des neiges, les buses pattues, les labbes à longue queue, etc. Leur population peut varier d’un facteur 100 d’une année sur l’autre, ce qui impacte directement les populations de leurs prédateurs et des autres proies comme les oies des neiges sur lesquelles se rabattent les prédateurs en l’absence de lemmings. Les causes de cette dynamique de population sont mal comprises mais les raisons le plus fréquemment invoquées impliquent des relations proies-prédateurs, comme le déphasage des cycles de population d’une espèce par rapport à l’autre, ou des limitations de nourriture. Les lemmings sont trop petits pour hiberner et vivent donc dans l’espace sous-nival. Ils sont herbivores et creusent des terriers dans la couche de neige basale pour se déplacer, accéder à leur nourriture et construisent avec des végétaux des nids dans lesquels les femelles élèvent seules leurs portées de 5 à 8 jeunes. Creuser des terriers est très facile lorsque la couche de neige basale est constituée de givre de profondeur tendre dont les gros cristaux se forment lorsqu’une neige fraiche est soumise à un gradient de température très élevé qui s’établit en automne entre le sol encore à 0°C et l’air déjà glacial. La formation de ce givre peut être rendue difficile par des épisodes de vent, qui forment des croutes dures, ou des évènements de fonte ou de pluie sur neige, qui forment des couches regelées dures.

L’hypothèse de travail de l’équipe franco-canadienne a été que les mouvements des lemmings dans ces couches durcies leur faisaient consommer beaucoup d’énergie, limitant ou empêchant la reproduction, alors qu’un automne sans vent ni pluie sur neige permettait une forte reproduction hivernale, favorable à une explosion démographique estivale. Un suivi des populations de lemmings est réalisé depuis de nombreuses années à l’île Bylot (73°N, 80° O, au nord de la terre de Baffin) par une équipe du Centre d’études nordiques (Université Laval, Québec). Ces données, associées à des observations et à une modélisation des propriétés physiques de la neige à l’automne réalisées par l’équipe franco-canadienne, ont permis de révéler l’impact des propriétés physiques de la couche basale du manteau neigeux sur les populations de lemmings. Plus précisément, les effets des épisodes de vent et des événements de fonte et de pluie sur neige ont été testés.

Les résultats ont montré que le facteur essentiel qui détermine la dureté de la neige basale est l’intensité des évènements de pluie sur neige à l’automne. Ils ont également montré une bonne corrélation entre la croissance hivernale de la population (c’est-à-dire le rapport logarithmique entre la population au début de l’été de l’année n+1 sur celle de la fin de l’été de l’année n) et un indice représentant la quantité d’eau liquide apportée dans le manteau neigeux par les épisodes de pluie sur neige : les années sans pluie sur neige (indice=0), la population a cru pendant l’hiver, alors qu’elle a décru lorsqu’il y a eu de la pluie sur neige, car cette eau, en regelant, soude les grains entre eux et forme des couches de neige dure. Le nombre d’années bénéficiant d’un jeu de données complet est pour l’instant faible, car les données concernant la neige ne sont pas collectées depuis aussi longtemps que celles sur les lemmings. D’autres variables, comme la densité de nids d’hiver sont également corrélées à l’indice d’eau liquide. Par contre, les épisodes de vent n’ont pas montré de corrélation avec les populations. Les pluies sur neige intenses sont actuellement rares dans le haut arctique. Avec le réchauffement climatique, il est très probable que ces évènements deviennent plus fréquents. Leur impact sur les populations de lemmings et de leurs prédateurs, ainsi que sur tout l’écosystème arctique terrestre mérite d’être considéré dans les projections des évolutions environnementales. Plus généralement, les propriétés physiques du manteau neigeux étant déterminées par le climat, le changement climatique aura probablement des effets encore non suspectés sur l’évolution de l’Arctique et des régions enneigées en général.
Terrier de lemmings dans le manteau neigeux au printemps. À cette saison, les lemmings commencent à sortir à la surface en creusant des terriers verticaux. © Florent Domine
Lemming à l’Île Bylot. © Guillaume Slevan-Tremblay
Figure 3. Relation entre la croissance hivernale de la population de lemmings à l’île Bylot et l’indice d’eau liquide dans la neige en automne. Deux types de milieux où vivent les lemmings ont été étudiés.

Source

Snow physical properties may be a significant determinant of lemming population dynamics in the high Arctic, Florent Domine, Gilles Gauthier, Vincent Vionnet, Dominique Fauteux, Marie Dumont, Mathieu Barrere (2018) , Arctic Science, doi : 10.1139/AS-2018-0008

Contacts scientifiques locaux

 Vincent Vionnet, CEN/OSUG | vincent.vionnet meteo.fr
 Marie Dumont, CEN/OSUG | marie.dumont meteo.fr

Cette actualité est aussi relayée par

 l’institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)

[1Les laboratoires français impliqués sont le laboratoire international Takuvik (Université Laval / CNRS) et le Centre national de recherches météorologiques (CNRM, CNRS / Météo-France)

Mis à jour le 9 octobre 2018