Un radical de soufre pour expliquer la formation des gisements d’or

Les ressources économiques de l’or et bien d’autres métaux sur Terre sont dues à un phénomène exceptionnel de concentration du métal d’un facteur 1 000 à 1 000 000 dans les minerais par rapport à ses teneurs moyennes dans les roches terrestres. Ce phénomène est assuré par les fluides hydrothermaux qui circulent dans la croûte terrestre, mobilisent, transportent et déposent le métal. Cependant, étant le métal le plus inerte de tout le tableau périodique, l’or a toujours été considéré comme difficilement transportable par les fluides hydrothermaux. Un consortium interdisciplinaire composé de géologues, chimistes et physiciens vient de montrer qu’une nouvelle forme de soufre contrôle le transport de l’or et ainsi pourrait expliquer le paradoxe de la formation des gisements d’or. En combinant mesures in situ en laboratoire et sur synchrotron sur la ligne CRG-FAME, avec modélisations moléculaires sur des fluides aurifères aux conditions de haute température et pression des profondeurs de notre planète, les chercheurs, dont l’équipe FAME -associée à l’OSUG- en charge de la ligne sus-citée, ont trouvé que les radicaux de soufre comme l’ion trisulfure (S3-) s’attachaient très fortement à l’or en facilitant l’extraction, le transport et la précipitation du métal par les fluides. Cette découverte oblige à reprendre les modèles de formation des gisements aurifères et pourrait offrir des pistes pour localiser de nouvelles ressources de métaux précieux et améliorer le traitement de leurs minerais. Ces résultats ont été publiés le 12/10/2015 dans la revue Proceedings of National Academy of Science.

Cliché en microscopie électronique à balayage de nano- et microparticules d’or
Les points brillants représente l’or qui s’est déposé avec des cristaux de pyrite de différentes tailles (gris), à partir d’une solution hydrothermale contenant du soufre et de l’or dans une expérience en laboratoire. De telles expériences simulent la formation des gisements d’or dans la nature. Couplées avec des méthodes spectroscopiques in situ et des simulations numériques, elles montrent que l’or dans ces fluides se lie aux ions S3- qui rendent son transport et son dépôt très efficaces.
© Maria Kokh et Tierry Aigouy.

Bien que l’or soit l’un des métaux les plus rares sur Terre, avec des teneurs moyennes de l’ordre seulement de 1 milligramme par tonne de roche, il existe des endroits dans la croûte terrestre où ce métal se concentre de plusieurs ordres de grandeur dans des roches et filons (jusqu’à parfois 1 kilogramme par tonne), en permettant ainsi une extraction économiquement rentable. Ces anomalies géochimiques extraordinaires (appelées gisements), se forment à partir de fluides aqueux enrichis en sel, soufre et, parfois, CO2 et qui circulent dans la croûte terrestre, extraient le métal des roches et des magmas, puis le transportent et déposent au bon endroit et au bon moment. Cependant, les facteurs favorables à ce transfert de l’or depuis la roche source et l’état du métal dans le fluide restent encore mal compris. La mobilisation et le transport d’un métal par les fluides hydrothermaux s’effectuent par formation de complexes entre les ions métalliques et les sels minéraux présents dans ces fluides. Jusqu’à présent, le sulfure (à base de H2S) et le chlorure (à base de sel, e.g., NaCl, KCl) ont été considérés comme les seuls composés capables de faciliter le transport de Au en se liant au métal et en formant des complexes solubles dans le fluide (par exemple, AuCl2-, Au(HS)2-). Néanmoins, les capacités de mise en solution de l’or par ces composés (appelés ligands) sont médiocres, ce qui rend difficile d’expliquer le paradoxe de formation des gisements et leur distribution sur Terre.
 

Pour définir très précisément la structure de l’or dans ces conditions, ce travail s’est appuyé d’une part sur les qualités de l’instrument national, la ligne CRG-FAME à l’ESRF (limite de détection très basse, grande stabilité du faisceau) pour les mesures d’absorption X et d’autre part sur le dispositif de mesure in situ haute pression haute température développée par l’équipe en charge de la ligne associée à l’OSUG.

 

Pour tenter de résoudre cette vielle énigme, quatre équipes françaises [1] réunies autour d’un grand projet ANR [2] ont mesuré, en utilisant des réacteurs et cellules de haute température et pression, et une méthode optique in situ, la spectroscopie d’absorption de rayons X sur synchrotron, les teneurs et l’état chimique de l’or dans des fluides modèles riches en soufre fabriqués en laboratoire aux compositions et conditions analogues à celles dans la croûte terrestre (températures jusqu’à 500°C, pressions jusqu’à 2 kbar équivalent à une profondeur de 7 km environ, teneurs en soufre jusqu’à 3%, teneurs en sel jusqu’à 20%).
 

Ces fluides contiennent majoritairement du sulfure et du chlorure et, en plus faible quantités, d’autres formes de soufre comme les ions radicalaires S3- (et S2-) découverts récemment [3]. Les chercheurs ont analysé les données obtenues en utilisant des approches d’équilibre chimique et des simulations de dynamique moléculaire afin d’identifier les formes moléculaires de l’or dans ces fluides et quantifier leurs domaines de stabilité. Le résultat a stupéfait les chercheurs : ce ne sont pas les sulfures ou chlorures mais les ions S3- qui se lient très fortement à l’or en formant des complexes très stables (de type Au(HS)S3-), capables de transporter des teneurs en Au 10 à 100 fois supérieures à celles des sulfures ou chlorures à eux tous seuls. Les chercheurs ont proposé un modèle thermodynamique permettant d’estimer la stabilité de ses nouveaux transporteurs d’or et la solubilité du métal dans une large gamme de températures et pressions (jusqu’à au moins 700°C et 10 kbar), des magmas naissant dans les zones de subduction aux sources chaudes jaillissant à la surface.

En appliquant ce modèle aux conditions que les fluides rencontrent lors de leur naissance et de leur évolution dans la croûte terrestre, les chercheurs ont démontré que les espèces radicalaires de soufre, bien que moins abondantes que le sulfure ou le chlorure dans la plupart des fluides naturels, sont néanmoins capables d’extraire de grandes quantités d’or du magma lors de son dégazage ou des roches sédimentaires subissant de fortes pressions et températures (appelé phénomène de métamorphisme), puis de les transporter à travers la croûte terrestre. Lorsque ces fluides chauds remontent à la surface, se refroidissent ou rencontrent une roche de composition différente (e.g., calcaire), les radicaux de soufre se décomposent en laissant leur butin d’or se déposer dans des veines et cavités avec des minéraux majeurs (e.g., pyrite, le sulfure de fer le plus abondant auquel l’or est souvent associé). La découverte des complexes stables et mobiles entre Au et S3- aide à expliquer le paradoxe de formation des gisements d’or et permet le choix des sites où de nouveaux gisements qui pourraient être découverts, en offrant plus de potentiel pour l’exploration. Par analogie avec Au, d’autres métaux économiquement importants, comme le molybdène ou le platine qui sont également considérés comme très peu mobiles, pourraient aussi se lier à S3-, augmentant ainsi fortement leur mobilité et leur dépôt par les fluides. Les résultats de cette recherche pourraient aussi aider à améliorer les procédés d’extraction des métaux de leurs minerais et la synthèse hydrothermale de nanomatériaux à base d’or.

Source
Sulfur radical species form gold deposits on Earth, Gleb S. Pokrovski, Maria A. Kokh, Damien Guillaume, Anastassia Y. Borisova, Pascal Gisquet, Jean-Louis Hazemann, Eric Lahera, William Del Net, Olivier Proux, Denis Testemale, Volker Haigis, Romain Jonchière, Ari Seitsonen, Guillaume Ferlat, Rodolphe Vuilleumier, Antonio Marco Saitta, Marie-Christine Boiron, and Jean Dubessy. Proceedings of National Academy of Science (PNAS), 12 octobre 2015.

Contact scientifique local
 Jean-Louis Hazemann, responsable scientifique de la ligne FAME : Jean-Louis.Hazemann |at| neel.cnrs.fr - 04.76.88.74.07

Cette actualité est également relayée par
 l’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU

[1Groupe Métallogénie Expérimentale/Géosciences Environnement Toulouse (GET) ; Institut Néel/Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble ; École Normale Supérieure/PSL Research University/UPMC/Sorbonne Universités/Université Paris 06 ; GeoRessources, Université de Lorraine-CNRS/Vandoeuvre-lès-Nancy.

[2ANR Blanc SOUMET, ANR-2011-Blanc SIMI 5-6 009, Role of sulfur in the fate of economically critical metals in geological fluids.

[3Pokrovski, G.S. & Dubrovinsky, L.S. The S3- ion is stable in geological fluids at elevated temperatures and pressures. Science 331, 1052-1054 (2011) ; Jacquemet, N., Guillaume, D., Zwick, A., & Pokrovski, G.S. In situ Raman spectroscopy identification of the S3- ion in S-rich hydrothermal fluids from synthetic fluid inclusions. Amer. Miner. 99, 1109-1118 (2014) ; Truche L. et al. The role of S3- ion in thermochemical sulphate reduction : Geological and geochemical implications. Earth Planet. Sci. Lett. 396, 190-200 (2014) ; Pokrovski G.S. & Dubessy J. Stability and abundance of the trisulfur radical ion S3- in hydrothermal fluids. Earth Planet. Sci. Lett. 411, 298-309 (2015).

Mis à jour le 29 octobre 2015