Le talon d’Achille des glaciers noirs d’Asie

© IRD - CNRS - Thibaut Vergoz, PRESHINE 2017 Les falaises de glace, qui parsèment la surface des glaciers noirs, constituent une zone d’intense fonte de la glace.
Pourquoi les glaciers d’Asie fondent-ils moins vite que les autres ? Les glaciologues s’emploient à le comprendre et s’intéressent notamment aux nombreux « glaciers noirs » de la région, couverts de débris morainiques. Ils révèlent certaines de leurs spécificités et de leurs vulnérabilités.

Les glaciers noirs asiatiques défient la fonte des glaces. Ces géants de l’Himalaya fondent en effet à un rythme sensiblement moins rapide que la moyenne mondiale. « Pourtant, certaines zones de leur surface fondent particulièrement vite , révèle le glaciologue Patrick Wagnon. En cause ? Les falaises de glace et les petits lacs, des structures particulières présentes sur une partie de leur surface, qui piègent le rayonnement solaire. »

Les glaciers recouverts en partie par des débris morainiques sont appelés glaciers noirs. Les fragments rocheux qui les tapissent, de la taille d’une poussière à celle d’une voiture, s’amassent en surface en une couche dont l’épaisseur augmente à mesure que la langue de glace s’écoule vers le bas. Les pierres proviennent de chutes et de glissements de terrain, aussi les massifs les plus escarpés recèlent davantage de glaciers noirs. Ils représentent ainsi 10 à 15 % des surfaces glaciaires en Asie et jusqu’à 25 % dans la partie sud-est de l’Himalaya, contre seulement quelques % dans les Alpes. Cette couverture détritique a une grande influence sur leur dynamique.

Couche isolante

De façon contrintuitive, cette couche sombre contribue à ralentir la fonte de la glace. « En réalité,tant que son épaisseur ne dépasse pas quelques centimètres, la couverture de débris accélère la fonte en favorisant l’absorption du rayonnement solaire, car son albédo [1] est plus faible que celui de la glace ou de la neige , explique le spécialiste. Mais au-delà de cette épaisseur critique, l’effet isolant des débris, qui peuvent atteindre jusqu’à 3 ou 4 mètres d’épaisseur, l’emporte sur l’effet d’albédo. Le glacier est alors protégé du rayonnement et fond moins vite que s’il n’était pas recouvert de débris. » Pour autant, les glaciers noirs présentent des vulnérabilités…

© IRD/Patrick Wagnon Glacier noir du Langtang (Népal), avec sa surface chahutée, parsemée de petits lacs (au milieu de la photo) et de falaises de glace
Zones de fonte accrue

« Les glaciers noirs d’Asie ont une surface très hétérogène, chahutée, avec de nombreux petits lacs et des talus qui atteignent quelques mètres ou dizaines de mètres de hauteur, régulièrement distribués, qu’on appelle des falaises de glace, dépourvues de débris du fait de leurs fortes pentes , indique la glaciologue Fanny Brun, lauréate du programme L’Oréal-UNESCO Pour les femmes et la Science France 2018, Sombres ou sales, ces zones particulières ont un pouvoir réfléchissant faible et absorbent plus de rayonnement solaire, se réchauffent et transmettent la chaleur au glacier. »

Grâce à des observations réalisées avec un drone et des satellites sur le glacier Changri Nup au Népal entre 2015 et 2017, les scientifiques sont parvenus à dresser une cartographie numérique du volume annuel de fonte et ainsi quantifier les pertes liées aux falaises de glace. « Elles contribuent à 25 % de la fonte totale alors même qu’elles ne représentent que 7 % des surfaces , explique la jeune chercheuse. Dotées d’un pouvoir de fonte trois à quatre fois supérieur à la glace couverte de débris, les falaises de glace, constituent, avec les lacs de surface, le talon d’Achille des glaciers noirs d’Asie. » Une précédente étude avait en effet établi que les lacs contribuent environ quatorze fois plus à la fonte que les autres surfaces du glacier noir.

Des travaux vont désormais s’attacher à vérifier que ces zones d’entrée de l’énergie solaire agissent également sur les glaciers noirs des autres régions du monde.

Pour en savoir plus sur les glaciers noirs et le programme PRESHINE



Patrick Wagnon présente dans cette vidéo les hypothèses qui expliqueraient « l’anomalie du Karakoram et du Kunlun ». À l’inverse des autres, les glaciers de cette zone située entre le Pakistan et la Chine sont globalement stables, voire gagnent légèrement de la masse.



Patrick Wagnon et Thibaut Vergoz, photographe, évoquent les prouesses nécessaires pour faire voler un drone à plus de 5 000 mètres d’altitude et photographier cette expérience inédite. L’objectif de la manœuvre : survoler et cartographier, en complément des images satellites et des mesures de terrain, le site du Changri Nup, un des glaciers noirs d’Asie, étudié dans le cadre du programme de recherche interdisciplinaire PRESHINE (IRD/CNRS).


Source

 F. Brun, E. Berthier, P. Wagnon, A. Kääb and D. Treichlert, A spatially resolved estimate of High Mountain Asia glacier mass balances, 2000-2016 ; Nature Geoscience ; 7 août 2017 ; DOI : 10.1038/NGEO2999
 F. Brun, P. Wagnon, E. Berthier, J.M. Shea, W. W. Immerzeel , P. D. A. Kraaijenbrink , C. Vincent , C. Reverchon, D. Shrestha, Y. Arnaud, Ice cliff contribution to the tongue-wide ablation of Changri Nup Glacier, Nepal, Central Himalaya , Cryosphere ; 29 mars 2018 ; doi : 10.5194/tc-2018-38
 E. S. Miles, I. Willis, P. Buri, J. F. Steiner, N. S. Arnold & F. Pellicciotti, Surface pond energy absorption across four Himalayan glaciers accounts for 1/8 of total catchment ice loss , Geophysical Research Letters , 17 septembre 2017 ; doi : 10.1029/2018GL079678

Contacts scientifiques locaux

 Patrick Wagnon, IGE/OSUG | patrick.wagnon univ-grenoble-alpes.fr
 Fanny Brun, IGE/OSUG | fanny.brun univ-grenoble-alpes.fr

Cette actualité a été publiée par l’IRD

[1Albédo : Pouvoir réfléchissant d’une surface

Mis à jour le 7 décembre 2018