Inde : l’origine de la crue dévastatrice de Chamoli dévoilée

Centrale hydroélectrique de Tapovan Vishnugad détruite après la coulée de débris dévastatrice du 7 février 2021
© Irfan Rashid, Department of Geoinformatics, University of Kashmir
Réseaux de chercheurs, alliance des disciplines, collaborations internationales ont permis d’identifier la cause de la catastrophe géologique survenue en février 2021 en Inde. Plus de 200 personnes sont mortes ou portées disparues à cause d’une avalanche de roche et de glace. Quelles actions de prévention pourraient être mises en œuvre pour éviter de nouveaux drames ?

Dimanche 7 février 2021, en Inde, un torrent d’eau, de roches et de glace dévale les vallées indiennes du district de Chamoli, au nord de l’Inde, entrainant la mort ou la disparition de plus de 200 personnes et la destruction de deux centrales hydro-électriques. Dans l’après-midi, Pascal Lacroix, géophysicien à l’Institut des sciences de la Terre de Grenoble (CNRS/IRD/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont Blanc), est contacté par des collègues. En quelques heures, un réseau d’une cinquantaine de scientifiques se constitue : forts de leurs compétences complémentaires, ils ont à cœur de documenter, presqu’en direct, la cause, la portée et l’impact de l’évènement.
« Il existait déjà un réseau de télédétecteurs, sismologues, hydrologues, géologues, glaciologues, sociologues à l’œuvre dans la région sur les aspects glaciologie, raconte Pascal Lacroix. Réseau dont plusieurs de mes collègues au LEGOS ou CESBIO à Toulouse ou en Norvège faisaient partie. » Spécialiste des glissements de terrain, le géophysicien, en mission en Norvège pour un projet étudiant les liens entre les glissements de terrain et la déglaciation, s’embarque immédiatement dans l’équipe.

Imagerie satellitaire

À quoi était dû cette « crue dévastatrice » ? « Les premières hypothèses incriminaient une inondation par débordement d’un lac glaciaire, rappelle Dan Shugar, géomorphologiste à l’université de Calgary (Canada) et premier auteur de l’étude. Mais il n’existe aucun lac glaciaire d’une taille suffisante pour produire une telle inondation à proximité du site.  » C’est grâce à l’imagerie satellitaire haute résolution, obtenue notamment grâce à l’appui du CNES, que les scientifiques découvrent la source du drame : « une énorme masse roches, et la glace qui le surmontait, se sont détachées d’un pic sur le versant nord du mont Roti, et ont entraîné la crue dévastatrice, explique Pascal Lacroix. Elle a coulé très, très loin, en détruisant des barrages hydroélectriques. »

De fait, la coulée a généré une vague de plus de 200 mètres de haut, dévalant les pentes de départ à 200 km/h ! L’évènement est exceptionnel par sa distance parcourue. Seules deux autres mouvements de terrain ont parcouru une plus longue distance, les deux au Pérou depuis le sommet du Huascaran (en 1962 et en 1970). Cette distance de propagation s’explique par des proportions du mélange de roche et de glace « idéales » pour que vitesse et frottement combinés entrainent la fonte de la glace et provoquent ce torrent dévastateur.

Quels risques à l’avenir ?

Au-delà de l’identification de la cause de cet événement précis, l’imagerie satellitaire montre que de précédentes grandes masses de glace avaient été délogées de la même crête et avaient frappé la même zone de vallée au cours des dernières années. « Cela interroge le caractère durable des barrages hydroélectriques que l’Inde développe ces dernières années », alerte Pascal Lacroix. Comment savoir si de nouvelles avalanches ne vont pas provoquer les mêmes catastrophes ?
D’autant qu’il est difficile d’identifier pourquoi ce glissement de terrain s’est produit. Si le changement climatique est soupçonné de jouer un rôle, la preuve n’est pas évidente, principalement car il n’y a pas suffisamment de mesures scientifiques réalisées dans la région.

Sismologie et collaboration en prévention

« Cependant, souligne Pascal Lacroix, des sismomètres jalonnent le Toit du monde. Et les données de ceux installés au Népal ont clairement enregistré les signaux caractéristiques d’une avalanche.  »
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Ils étaient pourtant situés à 200 km du lieu de la catastrophe. « Dans une logique de prévention, l’une des solutions serait de s’appuyer sur la mise en réseau des sismomètres de la région, indique Pascal Lacroix. Cela impliquerait beaucoup de développement mais on peut imaginer qu’une détection précoce des signaux d’avalanche permettrait l’évacuation des zones en aval : dans le cas de Chamoli, il s’est écoulé entre 10 et 15 mn entre l’apparition des signaux et l’arrivée au niveau des barrages hydrolélectriques. »

Le chercheur salue d’ailleurs la collaboration préexistante entre le CEA et le Népal depuis longtemps, par l’intermédiaire de son Centre national de recherche et de surveillance des tremblements de terre. « Sans ce partenariat de longue date, nous n’aurions pas pu accéder aux données », souligne-t-il. Il prône ainsi un renforcement et un élargissement des échanges dans une logique de prévention notamment. Un souhait de collaboration que partage Monika Jha, cheffe du Centre national de recherche et de surveillance des tremblements de terre, Département des mines et de la géologie : « il est en effet important de continuer ce type de recherche devrait être poursuivi à l’avenir afin de développer un système d’alerte précoce.  »


Référence

D. H. Shugar, M. Jacquemart, D. Shean, S. Bhushan, K. Upadhyay, A. Sattar, W. Schwanghart, S. McBride, M. Van Wyk de Vries, M. Mergili, A. Emmer, C. Deschamps-Berger, M. McDonnell, R. Bhambri, S. Allen, E. Berthier, J. L. Carrivick, J. J. Clague, M. Dokukin, S. A. Dunning, H. Frey, S. Gascoin, U. K. Haritashya, C. Huggel, A. Kääb, J. S. Kargel, J. L. Kavanaugh, P. Lacroix, D. Petley, S. Rupper, M. F. Azam, S. J. Cook, A. P. Dimri, M. Eriksson, D. Farinotti, J. Fiddes, K. R. Gnyawali, S. Harrison, M. Jha, M. Koppes, A. Kumar, S. Leinss, U. Majeed, S. Mal, A. Muhuri, J. Noetzli, F. Paul, I. Rashid, K. Sain, J. Steiner, F. Ugalde, C. S. Watson, M. J. Westoby. A massive rock and ice avalanche caused the 2021 disaster at Chamoli, Indian Himalaya, Science, 2021. DOI

Contact scientifique local

Pascal Lacroix, ISTerre

Article initialement publié par l’IRD

Mis à jour le 19 juillet 2021