La plus grosse vague de chaleur jamais enregistrée en Antarctique entièrement décryptée

Base de Concordia au Dôme C ©Vincent Favier
Grâce à la collaboration d’une équipe internationale de 54 scientifiques en provenance de 14 pays menée par des chercheurs de l’institut des géosciences de l’environnement (IGE - OSUG) [1] , l’événement de chaleur exceptionnelle du 15 au 19 mars 2022, a été entièrement documenté. Une description exhaustive de ce record de chaleur qui a entrainé des anomalies de température en Antarctique d’une ampleur jamais observée (+40°C) fait l’objet de deux articles compagnons qui viennent d’être publiés au Journal of Climate le 9 janvier 2024.

L’Antarctique de l’Est a connu une vague de chaleur extraordinaire, avec des anomalies de température de 30 à 40°C sur une zone de 3,3 millions de km2, équivalente à la taille de l’Inde. Cet événement sans précédent a dépassé tous les records mensuels de température sur le plateau de l’Antarctique de l’Est, atteignant le niveau historique de -9,4°C le 18 mars près de la station Concordia. Une telle température est totalement inhabituelle au mois de mars, qui est une période de transition vers l’hiver antarctique, marquée habituellement par des températures de l’ordre de -50°C. Le moteur de ces températures extrêmes a été identifié : il s’agit d’une rivière atmosphérique d’une intensité jamais observée au-dessus de l’Antarctique de l’Est. Le phénomène de rivière atmosphérique s’observe quand une zone de fortes hautes pressions atmosphériques dévie et dirige la circulation atmosphérique vers les latitudes polaires, sous forme d’un long “filament” transportant chaleur et humidité des basses vers les hautes latitudes. La rivière à l’origine de la vague de chaleur de mars 2022 a relié de façon quasi-directe les latitudes subtropicales de l’océan Indien jusqu’au cœur de l’Antarctique Est.

L’ampleur de cet événement a attiré l’attention de la communauté des climatologues de l’Antarctique, et un grand projet de collaboration a été rapidement lancé pour élucider les facteurs météorologiques, les impacts et le contexte climatique historique de cette vague de chaleur. Une équipe de 54 chercheurs de 14 pays s’est penchée sur les subtilités du phénomène, ce qui a donné lieu à deux publications d’envergure.

Ces articles détaillent non seulement les relevés météorologiques, mais expliquent aussi les conditions de circulation atmosphérique complexes qui ont conduit à la formation de cette rivière atmosphérique exceptionnelle. La présence de plusieurs cyclones dans l’océan Indien juste avant et pendant la rivière atmosphérique, ainsi qu’une situation de blocage (stagnation d’un anticyclone) intense le long des côtes de la terre de Wilkes ont ainsi déclenché cet événement explosif. Parmi les conséquences, on peut citer une réduction temporaire mais notable de l’étendue de la glace de mer, des pluies et de la fonte significative le long des zones côtières à une période où la fonte n’avait jamais été observée. Heureusement, cette perte d’eau a été largement compensée par une forte accumulation de neige en altitude sur le plateau. Enfin, une dépression atmosphérique associée à la rivière atmosphérique, a contribué au déclenchement de l’effondrement final de la petite plate-forme glaciaire de Conger qui était déjà très instable.

Bien que de telles phénomènes ne se reproduisent qu’une fois tous les cent ans environ, l’étude suggère que des températures similaires seront plus probables dans le futur. La publication de cette étude complète, qui couvre divers aspects des disciplines scientifiques, n’a été rendue possible que par l’esprit de collaboration scientifique internationale inhérent à l’Antarctique, où le partage des données et des connaissances est de règle.

Figure. a) : Valeur du centile (c’est-à-dire du pourcentage des observations ayant une valeur inférieure ou égale à la valeur de l’événement en question, en rouge, en %) de la température moyenne journalière à 2m au-dessus du sol lors de l’événement du 18 mars 2022. La distribution de probabilité est calculée sur la période 1979-2021. Les hachures correspondent à la zone où la température du 18 mars 2022 a été la plus forte pour tous les mois de mars sur 1979-2022, soit sur une surface de 3.3 millions de km2. b) Images satellites dans l’infrarouge du 18 Mars 2022 à 23h UTC montrant la rivière atmosphérique dans sa phase finale. Les flèches rouges indiquent le flux de la rivière atmosphérique.

Références

The Extraordinary March 2022 East Antarctica “Heat” Wave.
Part I : Observations and Meteorological Drivers
Part II : Impacts on the Antarctic Ice Sheet
Jonathan D. Wille, Simon P. Alexander, Charles Amory, Rebecca Baiman, Léonard Barthélemy, Dana M. Bergstrom, Alexis Berne, Hanin Binder, Juliette Blanchet, Deniz Bozkurt, Thomas J. Bracegirdle, Mathieu Casado, Taejin Choi, Kyle R. Clem, Francis Codron, Rajashree Datta, Stefano Di Battista, Vincent Favier, Diana Francis, Alexander D. Fraser, Elise Fourré, René D. Garreaud, Christophe Genthon, Irina V. Gorodetskaya, Sergi González-Herrero, Victoria J. Heinrich, Guillaume Hubert, Hanna Joos, Seong-Joong Kim, John C. King, Christoph Kittel, Amaelle Landais, Matthew Lazzara, Gregory H. Leonard, Jan L. Lieser, Michelle Maclennan, David Mikolajczyk, Peter Neff, Inès Ollivier, Ghislain Picard, Benjamin Pohl, F. Martin Ralph, Penny Rowe, Elisabeth Schlosser, Christine A. Shields, Inga J. Smith, Michael Sprenger, Luke Trusel, Danielle Udy, Tessa Vance, Étienne Vignon, Catherine Walker, Nander Wever, and Xun Zou. Journal of Climate - 09 Jan 2024
DOI : https://doi.org/10.1175/JCLI-D-23-0175.1 / https://doi.org/10.1175/JCLI-D-23-0176.1

Contacts scientifiques locaux

 Vincent Favier, chercheur CNAP | IGE / OSUG, | vincent.favier univ-grenoble-alpes.fr | +33 4 76 82 42 68
 Jonathan Wille, chercheur UGA | IGE / OSUG | jonathan.wille univ-grenoble-alpes.fr

Cet article a été publié par l’UGA.

[1Les laboratoires français impliqués :

  • Institut des géosciences de l’environnement (IGE – OSUG)
    Tutelles : CNRS, INRAE, IRD, Univ Grenoble Alpes, Grenoble INP - UGA
  • Laboratoire d’Océanographie et du Climat (LOCEAN-IPSL)
    Tutelles : Sorbonne Université, CNRS, IRD, MNHN

Mis à jour le 6 février 2024