Limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C pour réduire de moitié la contribution de la glace terrestre au niveau de la mer au cours du siècle

© A. Chapuis
Nous pouvons réduire de moitié la contribution de la glace terrestre à l’élévation du niveau de la mer au cours de ce siècle, si nous augmentons suffisamment l’ambition de nos engagements en matière d’émissions pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Une étude menée par Tamsin Edwards du King’s College London publiée dans la revue Nature, incluant la collaboration de plus de 80 chercheurs et 58 instituts de recherche de nombreux pays, dont plusieurs chercheurs de l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE/OSUG, CNRS / IRD / UGA / Grenoble INP) et du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE, CNRS / CEA / UVSQ) a estimé qu’une limitation du réchauffement climatique global à 1.5°C au-dessus des valeurs pré-industrielles (période 1850-1900), respectant ainsi les accords de Paris de décembre 2015, permettrait de diviser par deux l’estimation, basée sur les engagements actuels de réduction d’émission de gaz à effet de serre (Contributions déterminées au niveau national, NDCs), de la contribution de la glace continentale à l’élévation du niveau moyen des mers d’ici 2100, passant de 25 à 13 cm SLE [1].



Le dernier rapport spécial sur l’évolution de l’Océan et de la Cryosphère dans un monde où le climat change (SROCC) préparé par le Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) de 2019 prévoit un réchauffement atmosphérique moyen à la surface du globe en 2100 compris entre 1°C et plus de 4°C par rapport à la période 1986-2005 en fonction de l’évolution de l’ensemble des activités humaines, et une augmentation de la température moyenne et globale de la surface des océans comprise entre un peu moins de 1°C et 3°C. Ces projections d’évolution de la température entraîneraient une augmentation de la fonte des glaciers de montagne et des calottes polaires en surface ainsi qu’une accélération de la vitesse de déplacement des glaciers émissaires des calottes polaires, augmentant ainsi le vêlage d’icebergs, et un accroissement de la fonte sous les glaciers se terminant dans l’océan. L’ensemble de ces processus entraînerait une perte de masse de la glace continentale, celle-ci contribuant ainsi à l’élévation du niveau moyen des mers.

La force et l’originalité de cette étude est pour la première fois de prendre en compte dans un cadre cohérent d’estimation des incertitudes, à l’aide d’un émulateur statistique, les calottes polaires et les glaciers de montagne. En effet, la simulation explicite (et non statistique) de l’ensemble des plus de 210 000 glaciers de montagne de la planète sur de longues périodes temporelles est possible uniquement depuis quelques années, et le premier exercice scientifique international de comparaison de modèles physiques globaux de glacier (GlacierMIP) date seulement de l’année dernière. Cette nouvelle étude menée par Tamsin Edwards permet ainsi d’explorer les distributions de probabilité de la contribution de la glace continentale au niveau moyen des mers provenant des différents modèles de glacier mais également celles provenant des différents modèles de calotte polaire. De plus, ces résultats utilisent les nouveaux scénarios socio-économiques (SSPs) d’évolution du climat créés par le GIEC ainsi que les dernières projections de changement de températures. La prise en compte des glaciers dans l’émulateur statistique a montré qu’ils seront probablement (réponse médiane) responsables de la moitié de l’élévation du niveau des mers issue de la glace continentale sur le 21 ème siècle.

Projections of continental ice contribution to 21st century mean sea level for different socio-economic greenhouse gas emission scenarios (solid lines and shaded areas correspond to the most likely simulations, light lines correspond to pessimistic simulations for Antarctica).

Enfin, cette étude a permis de confirmer les incertitudes existantes concernant la contribution de l’Antarctique à l’élévation du niveau moyen des mers pour la fin du 21 ème siècle. La réponse de l’Antarctique aux scénarios d’émission de gaz à effet de serre d’origine anthropique est incertaine de part la compétition entre l’augmentation des précipitations neigeuses sous un climat plus chaud et l’augmentation de la perte de masse de glace via la fonte sous les plateformes de glace flottante et l’accélération de l’écoulement glaciaire associé. Un des résultats important de cette émulation statistique est également la mise en évidence d’un risque d’élévation beaucoup plus important du niveau des mers lié à l’Antarctique. En effet, sous des hypothèses physiques plausibles mais pessimistes (par exemple l’effondrement de certaines plateformes de glace et fonte basale importante sous certains glaciers émissaires), toujours pour un scénario d’évolution climatique basé sur les engagements nationaux actuels (NDCs), la perte de masse de l’Antarctique pourrait être 5 fois plus importante que la valeur considérée à l’heure actuelle comme la plus probable et ainsi augmenter la contribution médiane de la glace continentale au niveau des mers à 42 cm SLE. De plus, il existe un risque non négligeable (95 percentile) que l’élévation du niveau des mers excède les 50 cm et ce même dans un scénario optimiste de maintien de la température en dessous de 1.5°C de réchauffement ! Ce risque pouvant mettre en péril les stratégies d’atténuation et d’adaptation aux inondations le long des côtes.

En conclusion, même en considérant un unique scénario d’évolution des émissions de gaz à effet de serre (NDCs ici), la gamme d’incertitude reste encore très large : l’estimation médiane d’élévation globale du niveau moyen des mers en 2100 est de 25 cm et l’estimation la plus pessimiste (c’est-à-dire avec des hypothèses physiques plausibles mais pessimistes pour les calottes polaires) est de 42 cm. Ainsi, les stratégies d’adaptation devraient prévoir un facteur d’incertitude plus élevé jusqu’à ce que les politiques “climatiques” et la réponse de l’Antarctique à l’évolution du climat soient mieux contraintes et connues.


Référence

Edwards,T. et al., Projected land ice contributions to 21 century sea level rise. Nature (2021). DOI : https://doi.org/10.1038/s41586-021-03302-y

Contacts scientifiques locaux

Nicolas Champollion, IGE / OSUG
Nicolas Jourdain, IGE / OSUG

[1SLE signifie sea-level equivalent, c’est-à-dire si l’apport d’eau douce dans l’océan se répartie uniformément sur l’océan (l’unité est le mètre).

Mis à jour le 10 juin 2021