Eric Lewin - Comment avez-vous fait d’une passion un métier ?

Interview - Les AstroNomades - {juillet 2012 }

Dans cette interview pour les AstroNomades en 2012, Eric Lewin raconte son parcours et comment il est arrivé jusqu’à l’exploration de Mars à partir de sa passion pour la volcanologie.

Comment avez-vous fait d’une passion un métier ?

Tout petit, alors que les maths me réussissaient à l’école, je préfère prendre un marteau et taper tout caillou qui ressemble de près ou de loin, en général uniquement de loin, à une roche volcanique. Mon rêve avait pris naissance d’abord dans une carrière picarde que mon professeur de SVT m’avait demandé "d’explorer" avec un copain. L’ennui de la réalité : craie, craie et rognons de silex, craie, craie et poche d’argile, craie encore et rebelotte, bref revoyez les falaises blanches des côtes de la Manche de la Normandie au Boulonnais, m’a vite échappé grâce à un livre des années 1930, d’Edgard Aubert de la Rüe, "l’Homme et les volcans".

Mon destin était tracé ! Quoi que.

Mes études de mathématiques pathétiques, puis d’ingénieur en rien, m’ont amené à penser que mon avenir onirique serait plutôt dans les étoiles, la nuit, comme astrorêveur.

Puis enfin une première opportunité, en fin d’études, accompagner une équipe scientifique allant observer une comète à l’un des seins des seins volcaniques, le Kamtchatka. Raté, une imparable raison militaro-administrative m’en empêche.

Deuxième opportunité : on recherche un jeune passionné pour aller travailler sur le volcanisme d’Io, satellite souffreteux de Jupiter.

Second raté, je suis un peu trop "jeune", car il me manque encore la dernière année d’étude.

De dépit, je me tourne vers du pur terrestre, qu’une troisième opportunité m’offre : dépatouiller ce qui peut l’être dans le fiasco scientifique de la terrible affaire du volcan Soufrière de la Guadeloupe qui éructa en 1976-1977.

Le lecteur aiguisé aura noté l’usage de "second" plutôt que "deuxième", cherchant ainsi à faire mentir la terrible loi des petites séries, celle du jamais-deux-sans-trois. Et de fait, l’envol était pris. Après ce petit travail sur l’une des perles de nos Antilles, un séjour SOUS la pluie et la neige d’une Islande d’été, mais SUR des coulées de lave fraîches émergées de la grande dorsale volcanique de l’océan atlantique, confirme ma passion pour la recherche en géosciences.

Longtemps je vais m’intéresser à notre planète vue dans sa globalité, et aux miettes de sa formation que sont certaines météorites. Devenu observateur-chercheur, les divers volcanismes auront toute mon attention, celui comme mon terrain islandais ou celui comme le Piton de la Fournaise à la Réunion, pour mon travail de chercheur, et celui de la Soufrière de Guadeloupe pour mon service d’observation, celle de ses humeurs de façon à n’en rien ignorer le jour où elle se secouera de mauvais poil.

Un jour du milieu des années 90, les hauts responsables de la recherche française, au CNRS, au CNES, etc. lancent un appel à la communauté des chercheurs : auriez-vous des idées d’instruments scientifiques pour explorer Mars ? Avec quelques collègues, nous nous lançons sur ce défi. Un instrument particulier dans l’industrie, mais il est adapté à son usage quasi unique, le contrôle de qualité à distance du matériau d’une pièce usinée sur une chaîne de fabrication à haute cadence.

Cela s’appelle la spectroscopie par abrasion laser, et l’instrument coûte une fortune et occupe une place d’une dizaine de mètres carrés. Vous faisons le pari qu’avant dix ans, une durée très correcte dans le monde de l’exploration spatiale, tout cela tiendra dans une boîte à chaussures.

Et, bon ! quinze ans plus tard, cette boîte, plus hum ! une deuxième de taille équivalent, va se poser sur Mars.

Ça sera cet été, le 6 août vers 7h18 heure métropolitaine selon la trajectoire actuelle. Pendant ces 15 ans, le groupe se sera fortement étoffé ; des dizaines et dizaines d’ingénieurs auront trouvé des solutions absolument incroyables à tous les défis technologiques que notre idée aura provoqués. De notre côté, nous avons défendu l’intérêt de notre instrument, nous avons montré avant même qu’il existe en quoi il serait indispensable, ce qu’il apporterait, avec quelle qualité. Après la réflexion des années 1996, c’est l’appel d’offre de la NASA pour équiper un futur rover qui nous relance dans la course. Nous nous allions à une équipe américaine pour doubler nos chances, et bingo ! nous convainquons la NASA que notre projet est réalisable. A partir de 2003, commence la construction de cet instrument, que nous appelons "ChemCam", un peu comme "caméra chimique".

En parallèle, je continue, de moins en moins ces derniers temps, d’autres travaux : de recherche : un volcan des Canaries, celui des Marquises, la constitution des roches de nos montagnes, depuis récemment une météorite martienne toute fraîche, etc. ; d’observation : avant, la pollution industrielle dans la ville, maintenant, les spectres des minéraux avec notre technique en laboratoire ; d’enseignement : les couleurs en sciences, la géodynamique chimique, les outils mathématiques et statistiques ; et enfin de diffusion des connaissances scientifiques, comme pour ce festival des Astronomades !

Mis à jour le 21 juillet 2021